Fille de bonne famille
4.5
Fille de bonne famille

Court-métrage de Hanaa Mansour (2020)

Ici, la proposition est un peu moins avare dans la forme. Disons qu'il y a un peu plus de choix effectués dans la direction artistique, ce qui ne signifie pas que ces choix sont judicieux, pertinents ou efficace, mais c'est déjà méritant de faire des choix plutôt que de suivre bêtement l'ordre établi et de se laisser porter par la vague tyrannique de l'uniformité. On a cet usage du noir et blanc, pas réellement exploité puisqu'il ne sert qu'à créer artificiellement une ambiance soi-disant angoissante, sous pression. Le découpage technique et le montage sont un peu moins catastrophiques, sauf pour la première séquence. Était-il vraiment nécessaire de monter 6 plans pour ouvrir un paquet de Camel et s'allumer une blonde ? Un seul plan fixe de 15 secondes aurait suffi : on voit une meuf dans une bagnole de nuit, elle ouvre son sac, ouvre un paquet de clopes et s'en grille une jusqu'à être dérangée par deux gars sur une moto.


Une seul plan filmé ainsi aurait donné un résultat moins brouillon et bien plus pertinent. Le plan fixe, sans coupure, suggère l'ancrage de l'action dans le temps présent. Une moto qui débarque dans le champ, des vrombissements de moteur et puis un second plan enchaînant sur un gros plan avec mise au point sur les motards auraient donné quelque chose de bien plus convainquant. Leur arrivée aurait été davantage perçue comme une rupture dans l'action. Mais bon de toute façon, la tension retombe instantanément quand l'un des deux gars dit qu'ils habitent ici et qu'elle est a priori stationnée devant leur porte de garage. Je suis navré mais ce n'est pas un motif légitime de harcèlement. Elle n'a juste rien à faire ici avec sa voiture et elle se fait rembarrer comme cela arrive à des milliers de gens chaque jour, ce qui désamorce la situation. Je peux vous assurer que si vous venez squatter devant mon portail, que ce soit porter fumer une clope, envoyer un texto ou faire une partie de Monopoly, je vous dégage immédiatement, et moins poliment que cela.


Deuxième et dernière scène. Cette même jeune femme se retrouve debout au milieu d'une place pour fumer une autre cigarette. Mais juste avant, nous sommes gratifier d'un petit plan de transition dans lequel la comédienne qui descend la rue à pieds enlève furieusement ses lunettes - car elle ne voit mal qu'à l'intérieur des voitures, c'est comme ça - et nous toise d'un regard mauvais et désapprobateur teinté d'agacement. Cependant, pourquoi venir briser le quatrième mur et s'adresser directement au spectateur en plein milieu du métrage et seulement pour une durée de trois secondes ? Pourquoi donner naissance à quelque chose pour le tuer dans l'œuf l'instant d'après ? Le format très court de seulement une minute ne permet pas ce genre d'écart, il est inutile et contreproductif de perdre du temps à essayer d'utiliser et croiser des procédés complexes pour remplir une court-métrage de 60 secondes.


Nous arrivons donc à la scène finale sur la place, qui est en fait un unique plan-séquence pas déplaisant mais maladroitement réalisé. La rotation autour de la jeune fille est trop rapide. La caméra est un peu tremblante, faisant de petits aller-retours entre le haut et le bas. Enfin, le choix de la focale n'est pas idéal, il aurait fallu filmer ce plan en grand angle pour rester près de la protagoniste tout en percevant nettement l'arrière plan. Bref, en ce qui concerne la technique, c'est légèrement mieux que ce que j'ai déjà pu voir mais cela demeure très faiblard. Et puis, quel est la signification de tout cela ? On entend indistinctement un homme lui dire d'aller brûler en Enfer et la traiter de fille indécente, mais sans que l'on sache qui a prononcé ça. Pourquoi avoir choisi de ne pas révéler cette information ? Le mystère reste entier.


On a donc cette meuf, qui stationnée devant une porte de garage pour fumer une garrot se fait dégager par deux mecs souhaitant garer leur moto. Cet affront l'a mis dans un tel état d'énervement que sa force mentale lui permet de briser le quatrième mur et de nous transpercer du regard, du coup pour décompresser, elle allume une autre clope et se fait insulter gratuitement par l'homme invisible sans qu'on ne sache pourquoi. C'est vrai, pourquoi donc cette injure ? Parce-qu'elle a les cheveux courts ? Parce-qu'elle ne porte pas le voile ? Parce-qu'elle fume des Camel et pas des Marlboro comme toute personne digne de ce nom ? On ne sait pas non plus. On ne nous dit rien. Le principal obstacle à l'appréciation de ce film, ou même seulement à son appréhension, c'est qu'à aucun moment on ne comprend où est-ce que la réalisatrice a voulu en venir. Quel est l'objectif ? Quelle est la finalité ? Parce-que le message, on le connait lui, le message : « harcèlement de rue ». Mais ici on fait du cinéma et non pas de la propagande, il va donc falloir commencer à user des nombreuses techniques cinématographiques pour raconter quelque chose.


Une fois encore, on est hors-sujet. À quel moment le harcèlement de rue - très mal représenté ici, sans conflits réels, sans impact - est-il raccord avec la thématique « Women's empowerment » ? Où est la prise de pouvoir ? Où est la liberté, la fierté, la responsabilisation de la femme ? Nulle part, je ne vois qu'une femme de plus qui se positionne dans la situation de la victime. Ce n'est pas le sujet. Ce n'est pas ce qui m'est vendu sur la brochure du festival. Bien que meilleure vis-à-vis de certains autres métrages concurrents, la forme souffre d'un manque de maîtrise et de créativité. Le fond est inexistant, il y a aucune proposition thématique, aucun raisonnement, on effleure à peine l'écorce d'un chêne bicentenaire de 90 cm de diamètre. Comme pour les courts-métrages précédents, « Run » et « Gros bordel » - oui oui -, il n'y a pas de place pour la réflexion ici, tout n'est qu’apparat maladroit et grossier complètement à côté de la plaque. Des supplications, un peu de morale d'esclave, un argumentaire très peu persuasif et un discours hors-sujet.


Et malgré tous les efforts faits, cette demoiselle donne plus l'impression d'être éprise de l'irritabilité pathologique due au manque de substance psychotrope plutôt que d'être épuisée par un harcèlement constant... comme le suggère ce dernier mouvement à la fin du dernier plan, menton pointé vers le ciel et yeux qui se ferment, léger souffle de soulagement, miracle tant attendu qui vient vous réchauffer les entrailles lorsque la nicotine traverse la paroi alvéolaire, et se faufile un chemin à travers le sang pour aller se fixer sur les neurorécepteurs nicotinique en moins de 30 secondes. Camel. Where a (wo)man belongs. S/o Loi Évin. 1.9.9.1. Court-métrage engagé ou bien spot publicitaire pro-tabagisme ?

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le 27 nov. 2020

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