Kelly Reichardt, qui nous avait laissés avec Certain Women des récits de femmes d’aujourd’hui, revient avec First Cow sur l’amitié entre deux hommes d’autrefois (John Magaro et Orion Lee) dans l’Oregon sauvage du début du 19ème siècle. Attention aux spoilers.


Le début du film, après une brève incursion dans notre époque qui évoquerait presque celle de Titanic en ce qu'elle fait poindre la menace d'un iceberg inéluctable, remonte le temps pour suivre la promenade bucolique d’un cuisinier en quête de champignons au milieu d’une forêt luxuriante. Accompagné par un groupe de trappeurs bourrineurs, il ne fait pas de doute qu’il est de cette communauté de voyage faute de mieux. A alors lieu la rencontre de nuit avec un immigrant chinois nu comme un ver occupé à fuir et auquel il fournira l’équivalent d’un gîte et d’un couvert pour quelques heures. Ce n’est que plus tard qu’ils se retrouveront dans un avant-poste. Commencera alors l’intrigue du film faite de tirées de lait dans l'obscurité sur une vache fière comme un boeuf (car seul ruminant de la région) et appartenant à un chef commerçant.


La caméra stoïque de Reichardt apporte une dimension reposante à cette amitié qui se construit à l’écran, faite de petites tâches quotidiennes propres à cette vie des pionniers et de discussions sporadiques au milieu d’une nature filmée dans sa verdure apaisante. Il y a là autant de détails qui nourrissent le développement de ces personnages et leurs aspirations ainsi que la vie dans un avant-poste de l'époque. Cette immersion délivre alors des séquences autour de nos deux compères que la caméra commence ou termine en filmant en à-côté un personnage du décor vaquant à ses occupations à lui (un violoniste qui fait du violon ou un bébé laissé sur un comptoir le temps d'une rixe).


Très vite Cookie et King Lu uniront leurs efforts dans une entreprise bien rémunératrice de confection de gâteaux rejouant au figuré la naissance d’une nation où les petites ruisseaux d’antan sont aujourd’hui perdues dans des rivières torrentielles d'amas des gains. Où les petites barques, comme celle transportant la vache, ont été remplacés par ces bateaux modernes ouvrant le film et bien trop grands pour les lits des rivières.


Est également rejoué un certain ordre social à l’action dans ces avant-postes où celui qui a la seule maison vraiment en dur du coin, le chef commerçant (Toby Jones), rencontre un chef indien (Gary Farmer, Dead Man) et un capitaine (Scott Shepherd, Hostiles), pour on ne sait quel business ou mondanité d’importance, avec au milieu nos deux amis commissionnés à la livraison d'un clafoutis pour l’occasion. Cependant l’aspect politique du film se retient vite d’aller plus loin pour revenir à sa tendresse poétique et sa méditation du quotidien qu'on pourra rapprocher d'un Paterson de Jim Jarmusch.


Si le film présente évidemment une part de comique, les rebondissements se teintent très vite d’une certaine noirceur qui n’est pas étrangère à celle d'un certain pan du cinéma des frères Coen par exemple. Cette irruption de la violence ne prend cependant pas la force de celle qui surgirait dans un western à la trempe dure. Ici la violence est tranquille, elle nourrit la lente montée de la pâte à gâteau cuite au feu de bois sans la crever. Car dans ce film il n’est pas question d’affronter les loups qui rôdent (un face à face entre six yeux qui reste en tête) mais de les fuir et de s’en cacher. La séquence d’ouverture, qui se passait à notre époque et qui s’était nouée autour d’une découverte bien particulière se rappelle alors à notre bon souvenir dans un dénouement émouvant de délicatesse et de finalité par la virée nette de l'image sur un écran noir.


En définitif Kelly Reichardt livre ici un film sur l’amitié où rien n’entravera le lien de ses deux personnages, même pas les siècles, tout en nous reconnectant avec l’idée de toutes ces histoires qui ne remonteront jamais le courant jusqu’à nous mais qui ont eu toute l’importance du monde pour ceux les ayant vécues.

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le 25 janv. 2021

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Vagabond

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