Coup de foudre, sabres et katanas, la série B supervitaminée et assumée du monstrueux et prolifique Takeshi Miike pour mon premier film de 2020 !
Et le plaisir instinctif, cathartique, du spectateur face au grotesque le plus hénaurme et une violence amorale et décomplexée...
De l'aveu de Miike, une appropriation très personnelle de "True Romance" et de "Reservoir dogs".
Léo, jeune boxeur orphelin, vient d'apprendre qu'il va mourir. Son chemin croise par hasard, dans un Tokyo sombre, celui de Monika, esclave sexuelle et toxicomane, poursuivie par un fantôme en slip kangourou et un flic ripou pas dégourdi. Un premier amour, c'est toujours beau et violent ! Leurs regards se croisent, uppercut. Il la sauve. Ils s'enfuient ensemble. Les voilà entraînés malgré eux dans une guerre de gangs : clan yakuza contre triade chinoise, à la suite d'une arnaque intestine qui tourne défavorablement.
La romance est posée : il faut retrouver Monika ! Le film se déchaîne. On est alors plongés dans un imbroglio improbable, mené avec une extrême rapidité, un fil en aiguille abracadantesque mais sûr, et une violence désamorcée par des contretemps comiques et des trouvailles scénaristiques aussi drôles que déconcertantes : les têtes qui roulent à terre sourient, les bras coupés rechignent à rendre le flingue à leur propriétaire amputé. On est créatif dans la manière d'assommer, d'incendier, de se venger...On est juste avant le théâtre de la cruauté, le théâtre total selon la conception d'Antonin Artaud. On est chez Jarry, le pataphysique du Père Ubu. De nombreuses scènes ont le goût et la couleur du fameux régicide de la pièce commenté comme un match de foot. Miike pousse hors limite son mécanisme comique pour traiter le tragique de la situation. Oui, on est dans une sorte de farce qui en pousse le ressort essentiel : le renversement de situation, absolument constant dans le scénario et la mise en scène. L'ironie tragique est elle-même dégradée et poussée à l'extrême sur un simple mouvement de pied. Dans un registre presque festif, l'insignifiance et le décalage des répliques désamorcent tout le sérieux potentiel et le drame : "combien est-ce que j'en ai tué aujourd'hui ?", se demande le minable voyou.
Miike, c'est Jarry dégradant Shakespeare. Un "Roméo et Juliette" au pays de la mondialisation de la mafia et de la coprospérité. Résolument grotesque. Irrespectueusement, irrévérencieusement grotesque. L'exagération facilite le pouvoir de métamorphose étonnant de chaque scène : la plus grande réussite de Miike. Oui, on rit beaucoup. On est dans un contre-chant purement régressif.
Toutefois, le sublime - pendant du grotesque - n'est pas tout à fait exclu -rétabli de justesse à la fin. Car derrière le grotesque, il y a la souffrance d'exister de deux jeunes gens et la violence de la vie, de deux jeunes vies, bien réelle, cette fois.
Comme s'il fallait couper des forêts de bras, de jambes, de têtes et flinguer à tout va pour échapper à cette violence-là : l'abandon, l'inceste, la peur de mourir ou de vivre.
Une belle séquence d'animation manga, quand les deux amoureux et le dernier yakuza, trop plein d'honneur passé pour ce monde corrompu, s'envolent en berline dans les cieux. Retour du sublime pour la fin du dernier yakuza, sur un pont, au petit matin radieux.
On regrettera le double happy end. Finir sur Léo et Monika, courant, libres et trempés, c'eût été bien.
La dernière séquence en plans alternés : Léo sur un ring, Monika en pleine désintoxication, est sans doute de trop, inutilement démonstrative.
Sous la violence amorale et décomplexée, un petit conte moral. Quand on comprend qu'on n'a qu'une vie, on peut renaître pour une deuxième vie. Et le diseur de bonne aventure n'avait peut-être pas tort.
Miike aime autant ses personnages qu'il les ridiculise. Des marionnettes qui s'étoffent parfois contre toute attente, comme le dernier yakuza.
Un premier film jubilatoire, bien que déjà vu.