«-Pourquoi tu veux me voir ? -C'est un peu compliqué »


Léo, jeune boxeur prometteur, apprend après une défaite sur le ring qu'il est atteint d'une incurable tumeur au cerveau. Monika, jeune toxicomane contrainte à se prostituer pour rembourser les dettes de son père, est séquestrée par Yasu et Julie, un couple de maquereaux-dealers. Un flic aussi stupide que véreux fait affaire avec Kase, un yakuza prêt à trahir les siens pour quelques yens de plus. Leur  idée ? Piquer la came planquée chez Yasu et embarquer Monika afin que ceux du clan pensent à une fuite de la jeune prostituée avec la marchandise... Évidemment, avec ce genre de plan foireux, rien ne se passe comme prévu. Une guerre va se déclencher entre mafieux chinois et japonais.
La présentation des personnages est plutôt bordélique. Le prologue, d'une dizaine de minutes, ne suffit pas pour clairement définir les relations entre les très nombreux protagonistes. Des personnages secondaires font de courtes apparitions pour nous dévoiler le tableau. Une nana, ivre dans un restaurant, déplore qu'il n'y ait parmi les yakuzas « aucun homme digne de ce nom », relayant ainsi un cliché éculé sur la perte des belles et grandes valeurs des mafias (nostalgie du bon vieux temps où elles ne touchaient pas à la came). Un voyant, prophète de rue à bon marché, apprend à Léo qu'il est en pleine santé, qu'il a toute la vie devant lui et que, bientôt, il se battra pour quelqu'un. La mécanique qui déclenchera le massacre final n'est vraiment installée qu'à soixante minutes de film. Le récit, tortueux, est agrémenté d'improbables rebondissements comme pour relancer une intrigue poussive et parfois peu lisible.

« C'est drôle mais ça fait peur ? »


Le début était pourtant franchement prometteur. Fisrt love s'ouvre sur l'entraînement puis le combat du jeune boxeur, avec une succession de plans vifs. Léo prend clairement l'ascendant sur son adversaire et, après un superbe crochet du droit au visage... changement de plan et raccord fulgurant sur une tête tranchée qui roule, la nuit, en plein milieu d'une rue. Belle audace technique, franche surprise, non dénuée d'effet comique. Malheureusement, après ces deux premières minutes alléchantes, le film ne parviendra plus à trouver cet équilibre précaire entre inventivité, gore et humour. La plupart du temps, le mélange des genres fonctionne mal et le film parvient rarement à faire rire. Il donne tout de même lieu à de bonnes scènes absurdes qu'on peut compter sur les doigts d'une main, comme lorsque Kase déploie, afin d'éliminer Julie, ce trésor d'inventivité parfaitement inutile qui consiste à allumer un incendie à retardement avec un chien en peluche électronique, de l'essence et de l'encens... On pense aussi aux hallucinations de Monika qui lui font apparaître son père dansant dans le métro sur une musique orientale, en slip blanc, ou encore aux appels paniqués du neurochirurgien de Léo à la fin du film.
À propos de la violence, qui a fait la réputation du cinéma de Takashi Miike, on peut dire que First love ne présente jamais de scènes malaisantes. Elle est systématiquement désamorcée par l'humour ou suggérée hors champ quand elle serait trop insupportable à voir (quand Kase roule sur la tête d'un type, la caméra reste à hauteur du conducteur et on n'entend que le bruit, suffisamment évocateur, des os qui craquent). À vrai dire, j'ai été plus embarrassé par le jeu de l'actrice qui interprète « Julie la furie » que par la vue du sang. L'affrontement final n'est par ailleurs ni très inspiré ni très original (hormis les passages avec Kase, défoncé, qui ne sent plus ni la douleur des balles ni celle des coups de sabre). Le lieu du carnage, un magasin de bricolage, est largement sous-exploité. On s'attend à ce que les combattants utilisent toutes sortes d'outils : marteaux, tenailles, perceuses, haches, pistolets à clous. C'est en tout cas ce que je ferais si j'étais contraint de me battre dans un Brico Dépôt. Ici, il n'en sera rien.

« Qu'est-ce que tu regardes, imbécile ?»


Takashi Miike passe tellement de temps à mettre en place l'intrigue qu'il est difficile de ne voir dans First Love qu'un déploiement de gore et de grotesque. Pour autant, une des très belles scènes du film nous suggère que cette histoire de came n'était qu'un prétexte à la rencontre entre Léo et Monika. Les deux héros, à bord d'une voiture avec le chef des yakuzas, dispersent la drogue au vent comme pour signaler sa pure fonction narrative et l'artificialité de l'intrigue. Au fond, cette histoire de came, cette intrigue tarabiscotée, c'était du vent. J'ai le sentiment que le réalisateur est absolument conscient des limites de ce qu'il vient de nous montrer. Peut-être n'a-t-il fait que répondre, pendant les quatre-vingt-dix premières minutes du film, aux attentes elles-mêmes limitées des spectateurs. Il y aura bien eu les archétypes du film noir, les combats de sabre, les têtes coupées, l'exagération du jeu, Tokyo la nuit, du sang et des (sou)rires. Peut-être que durant les dix dernières minutes, on pourrait voir autre chose.
Et en effet c'est bien une fois que la tuerie a eu lieu que Takashi Miike lâche les chevaux (pour pas longtemps). C'est quand il dépasse les attentes et déborde du cadre qu'il excelle. Une courte séquence en animation, flamboyante case de bande dessinée, filmée avec ses onomatopées. Puis la séquence la plus belle du film, surgissement poétique inattendu. Le dernier des yakuzas se retrouve seul au volant d'une voiture. Il a tout perdu. Il roule, mélancolique. La nuit se dissipe, le jour point. Il a, comme une fulgurance qu'ont parfois les gens qui vont mourir, cette phrase magnifique : « Les voyous n'aiment pas la lumière du matin ». Il lâche le volant et sa voiture file, poursuivie par une quarantaine de véhicules de police, sur un immense pont, vers un splendide lever de soleil.
On aurait aimé que le film s'arrête ici, précisément. Mais on aura encore droit à quelques minutes avec Léo et Monika. Ils rencontrent un couple qui semble être un double du leur, mais en bien propre sur lui et bien rangé. Image spéculaire de ce qu'ils ont envie de devenir ? Peut-être, malheureusement. Lui reprend la boxe et elle arrête la drogue. On n'est pas mécontent de les laisser là...
MonsieurPoiron
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le 22 juil. 2020

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MonsieurPoiron

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