Intimement Spectaculaire. Voici l'histoire d'un être aussi froid que la surface de la Lune

Vous savez quoi ? En allant voir "First man", nouvelle conception cinématographique du mec qui a pondu ce trip jaunâtre viscéral et intense qu'était "Whiplash", et la stratosphérique comédie musicale bleue et rose qu'était "La La Land", je m'attendais sincèrement à relativiser sur l'auteur de génie qu'est devenu et semble toujours avoir été "Damien Chazelle". Il est vrai que, en tant que fervent passionné du Septième Art, je fus ne serait-ce que l'instant d'un instant légèrement tourmenté quand à l'intérêt d'un potentiel biopic, dont l'issue n'est inconnue de personne, et surtout par la vue de certains extraits, perplexe face au classicisme apparent.
C'est la veille du "Jour J", que mes oreilles enchantées de jouvenceau rencontrèrent fortuitement les mélodies absolues de "Justin Hurwitz", au crépuscule d'un monde lointain. Nom d'un chien !cette musique, frissonnante à en crever, qui vient d'ailleurs ou bien revient de loin, (le saurais-je ?), transcende.

Et enfin, le jour suivant, en sortant de la salle obscure du "Gaumont Pathé" du Havre, mon père avec qui je suis allé voir le film m'a dit : "Quelque part, il est parti la chercher sur la Lune".
Remarque tout à fait pertinente, qui offre du sens aux 142 minutes qui viennent de s'écouler devant nos yeux, et font du nouveau film de "Chazelle", une fresque titanesque dont la mélancolie de chaque instant transpire les moindres parcelles du visage froid d'un homme porté par la mort.


Grandiose. Froid. Solaire. Lunatique. Intense. Millimétré. Rigoureux. Evasif. Sublime. Triste.


Triste. Mazette ! Que ce voyage introspectif, qui s'impose davantage comme le portrait d'un homme que d'une mission, est triste. Triste à en briser le cœur. Triste à en courber l'échine. Triste à en garder une trace larmoyante sur nos joues rougies par le premier vent d'Hiver. Dès le premier quart d'heure, le ton est donné : distribution à tout va de paires de gifles. Immersion folle. Deuil déchirant. C'est parti, on va en voir du pays. Toute la première partie, jusqu'à la première excursion dans l'espace, dispose d'une fadeur sourde et factice, portée par une réalisation vive, nerveuse et naturaliste, qui dans ses moments intimistes ne cessent de rappeler un certain "Terrence Malick". Les personnages secondaires, plus effleurés que véritablement caractérisés, à l'image du regard que porte "Neil" sur eux, s'exposent comme des fantômes d'âme et de chair. Tout semble factice, impropre, désenchanté, un peu comme la vision nihiliste et distancée que "Neil" conçoit de l'humanité. Sa froideur et son monolithisme (Ryan Gosling was born this role motherfucker !) suggèrent toute la sensibilité d'un homme brisé qui tente, sans relâche, de contenir la moindre larme qui pourrait s'extirper de ses yeux taciturnes. Et c'est parce qu'il est au point mort, qu'il est expérimenté et qu'il cherche à fuir ce que recherche Janet ("Je voulais une vie normale") qu'il se lance à la Conquête du tout qui n'est rien que du tout ou rien.


Tout ou Rien ? Et bien, si je puis dire, c'est avec rien que "Neil" part dans la vaste étendue étoilée pour la première fois. Les boulons, les commandes, les métaux frais, les combinaisons, le verre solide du scaphandre, les corps disposés sur des sièges, les respirations arythmiques, l'air, le feu, l'eau et la Terre qui s'éloigne : chaque son est retranscrit. Magistralement.
On est immergé, au plus près d'eux, enfermé du début à la fin du programme, dans cette espèce de boîte de conserve rudimentaire que l'on envoie dans le vide. Quelle folie. Mais une folie dépeinte par "Chazelle" comme un chaos sourd et assourdissant dans le plus risqué des endroits (c'est pour dire, même Daesh n'y va pas), et dont la force cinématographique réside dans un travail monstrueux du montage et du cadrage claustrophobique. L'intensité est telle que le spectateur se retrouve, à son insu, emporté dans un torrent démentiel et gargantuesque, où l'on frémit pour ces deux astronautes insignifiants face à un tel géant.


Après ces rugueux évènements, la seconde partie suscite derechef une mélancolie absolue chez le spectateur, que l'on enferme, cette fois ci, dans l'autisme d'un homme qui s'apprête à faire l'impossible. Qu'il soit en conférence de presse ou avec sa tribut de sang, il est le même : froid. Et je ne saurais si bien retranscrire l'étendue de ce que j'ai ressenti, à l'instant où "Neil", s'adresse laborieusement à "Mark and Eric" sur la chose inimaginable qui fera l'apogée de sa vie le 20 juillet 1969 ("fuck les conspira-sionistes"), sous le regard d'une Janet à fleur de peau, écorchée vive, lassée par l'obstiné, l'obsédé, le fou.
Les vingt-cinq dernières minutes du film sont certainement l'une des vingt-cinq dernières minutes les plus réussies de l'histoire du Cinéma. C'est un véritable enchaînement de claques, à commencer par le décollage, servi par une partition survoltée et transcendante, puis ensuite d'un atterrissage "chef-d'oeuvresque" sur la Lune parsemée d'un gris scintillant, encore une fois souligné d'une bande originale qui aura sûrement l'Oscar. Sublime ! Du grand Art ! Et, qui plus est, la cerise sur le gâteau, une fois le pied à Lune (si je puis dire), la silence s'impose et suggère un million et demi de frissons dans nos cœurs encore chamboulés. Puis… Aller ! Soyons fous ! Rajoutons encore un bon gros doigt d'honneur au patriotisme Américain qui est ici totalement démythifié : pas de montages alternés avec une vision d'une humanité euphorique sur Terre, ou d'un personnel en extase dans les locaux de la NASA. Non, pas de ça dans le film de "Damien Chazelle". Ici, seulement un homme, avec sa faiblesse et son pathétique, les pieds sur l'inconnu, scrutant les moindres horizons pour pourquoi pas trouver celle qu'il était peut être parti chercher sur la Lune.
"Ryan Gosling" est bouleversant, rustre, déterminé et subtilement viscéral. "Claire Foy" est incandescente, douce, amère et tout à fait fascinée et fascinante. Le reste du casting signe un sans fautes.


Et bien voilà. Je sais que dans un monde comme le notre, où la critique est un exercice de plus en plus prétentieux et délicat, il est difficile d'émettre le fameux mot divin qui peut couronner une œuvre. D'ailleurs, qui suis-je pour me permettre de l'employer, qui ne suis qu'un vulgaire apprenti d'un art aux millions de secrets. Reste que, tout comme "Chazelle" l'a rêvé un jour : il faut mettre des étoiles dans les yeux du spectateur, afin qu'à travers les âges et les générations, une œuvre touche par sa singularité, par son authenticité et par son amour du Grand Cinéma. En somme, je ne peux me retenir de le dire. Peut être est-ce faux, peut être est-ce vrai ? Mais voilà ce que je retiens du Troisième film du nouveau "Master Of Hollywood" : Un vrai chef d'œuvre froid et intense, dont la mélancolie infinie se loge dans notre cœur et nous hante comme le son doux de cette mélodie qui surgit d'une harpe céleste.


Kyle Valdo, 23 Octobre 2016, "First Man" de "Damien Chazelle"

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le 23 oct. 2018

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Chazelle se loupe avec cette évocation froide et ennuyeuse d'où ne surnage aucune émotion.

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