Dans l’immensité de l’univers, au milieu de la nuit, des galaxies et des étoiles, une petite planète bleue s’apprête à vivre une révolution. Après des millénaires à scruter le ciel, à toucher les étoiles et les astres des yeux, l’Homme est sur le point de réaliser un rêve fou en foulant le sol de l’un de ces astres. Un rêve aussi extraordinaire ne peut, cependant, pas s’accomplir sans risquer de s’exposer à des sacrifices. C’est l’histoire de Neil Armstrong, l’histoire de First Man.


La gloire de l’Oncle Sam ? Très peu pour First Man.


Fort du succès critique et public de ses deux derniers longs métrages, Whiplash et La La Land, Damien Chazelle laisse le monde de la musique de côté pour aller à la rencontre des étoiles. L’idée de voir un biopic sur Neil Armstrong était aussi intéressante qu’elle pouvait poser question. Il est clair que l’astronaute a marqué l’histoire, mais, d’un autre côté, nous avons tous vu ces images du 21 juillet 1969, et nous étions dans notre droit légitime en nous demandant ce que le jeune cinéaste avait à nous offrir à partir de cet événement historique.


On le sait, la mission Apollo 11 a été motivée par la curiosité naturelle des Hommes et à des fins scientifiques, mais aussi par la rivalité entre les superpuissances américaine et soviétique, engagées depuis deux décennies dans la fameuse course à l’espace, rivalité centrale permettant à l’un des blocs de pouvoir marquer un grand coup en montrant sa supériorité sur l’autre. Et, pour le coup, l’histoire montre que les soviétiques ont toujours été les premiers. Premiers à envoyer un objet en orbite, premiers à envoyer un homme dans l’espace, premiers à permettre à un homme d’effectuer une sortie dans l’espace, ils ont toujours disposé d’une longueur d’avance, sauf au moment de réaliser l’acte le plus symbolique de cette course à l’espace. Naturellement, First Man ne s’affranchit pas totalement de l’aspect idéologique de l’événement, et de l’intérêt politique des missions Gemini et Apollo, mais ces éléments font plus partie de l’habillage général du film, n’étant qu’au second plan pour traiter des thématiques plus humaines, en lien avec nos rapports avec la vie et la mort.


La mort, une hantise permanente


Avoir des étoiles dans les yeux et toucher les étoiles appelle au rêve, à l’incroyable mais, pourtant, derrière, se cache une réalité bien plus brutale et implacable. First Man n’est pas un film de paillettes et d’héroïsme au patriotisme dégoulinant. Le film choisit, parmi les éléments qui lancent l’intrigue, de raconter l’une des principales tragédies à avoir durablement affecté Neil Armstrong : la mort de sa petite fille à l’âge de deux ans à peine. Une tragédie qui sera loin d’être la dernière qu’il connaîtra, puisqu’il perdra plusieurs de ses amis lors de missions visant à faire progresser la conquête de l’espace.


Tout au long du film s’installe une ambiance pesante, une présence sinistre se fait sentir. First Man est un film lourd, où la mort est omniprésente. Elle est présente dans les souvenirs de Neil Armstrong, mais aussi dans ceux du spectateur. Elle l’affecte et nous affecte. Et, d’une certaine manière, ses interventions répétées au fil de l’intrigue la rendent presque habituelle et elle en devient quasiment un personnage à part entière. Un personnage que l’on pourrait imaginer comme étant une force invisible mais, à mon avis, elle a bien une « personnification » toute particulière dans First Man.


La Terre comme astre de la Vie, la Lune comme astre de la Mort


Le film s’ouvre sur une mission où Neil Armstrong quitte l’atmosphère. La mission est périlleuse, la carlingue est secouée dans tous les sens, on craint, à chaque instant, pour la vie de l’astronaute. Puis, soudainement, la libération, le calme, la sérénité. Hors de l’atmosphère, aux portes de l’espace, un climat de paix extérieure et intérieure s’installe, jusqu’au retour dans l’atmosphère, dans le bruit et les tremblements. Pour Neil Armstrong, la vie sur Terre est source de tumultes, de souffrances, d’épreuves, mais aussi de moments de bonheur, de joie et d’exaltation. Ces premières minutes résument cet aspect imprévisible de la vie sur Terre, où toutes nos émotions, qu’elles soient positives ou négatives, nous rendent vivants.


A contrario, pour en revenir à ce que je disais sur la personnification de la mort, si la Terre est l’astre de la vie, la Lune est bien l’astre de la mort. Brillante dans le ciel nocturne, fascinante, elle est aussi majestueuse que désolée. L’arrivée sur la Lune lors de la mission Apollo 11 nous fait prendre conscience de la solennité du moment, mais nous fait aussi nous rendre compte à quel point la Lune est déserte, vide, presque inquiétante. Le sol est gris, criblé de cratères, il n’y a pas d’air, pas d’atmosphère, le ciel est noir, il n’y a que le vide spatial pour nous entourer. On a envie de dire que l’on est isolé dans un silence de mort. Rien, finalement, ne semble mieux représenter une image de ce qu’est la mort telle qu’on l’imagine.


On peut d’autant plus appuyer cette idée grâce au fait que la Lune est le satellite naturel de la Terre. Elle gravite et tourne autour d’elle depuis des milliards d’années. La Terre influe sur la Lune, et la Lune influe sur la Terre. Elles sont indissociables depuis la nuit des temps, comme le sont la Vie et la Mort. Et, dans ce cadre, la quête de Neil Armstrong prend tout son sens. Armstrong est meurtri par les pertes qu’il subit et fait donc de ce voyage, de cette confrontation, une obsession. Ne se sentant plus vivant sur Terre, incapable d’être un mari présent pour sa femme, d’être un père présent pour ses enfants, il doit braver la mort une bonne fois pour toutes et en revenir pour revivre, c’est sa mission. C’est ainsi qu’il va à sa rencontre en posant le pied sur la Lune, déposant le bracelet de sa petite fille défunte pour sceller définitivement son deuil, et retrouver la Vie en paix.


Est-ce que tout cela a bien existé ?


Quand on parle de la mission Apollo 11, on a souvent tendance à sortir la même blague : « Non mais, de toutes façons, tout ça a été mis en scène et filmé par Kubrick dans des studios à Hollywood ! » Et quand on reste dans le raisonnement exposé jusqu’ici, on peut tout à fait établir une analogie entre la remise en question de la véracité des faits dans la réalité, et les éternels questionnements sur ce qu’est la mort, et l’éventuel « après ». Si on revoit le chemin traversé par Neil Armstrong, c’est l’idée d’affronter directement la mort, jusqu’à percevoir ce qu’il y a derrière, quelque chose qui nous est totalement inconnu et qu’on ne croit pas, qu’on remet en cause, tout comme cet exploit extraordinaire. Le passage sur la Lune est comme hors du temps et de l’espace, irrationnel, et renforce encore plus cette impression.


D’un événement historique à une fable sur la vie et sur la mort


J’aurai beaucoup écrit le mot « mort » dans cet article, j’en ai conscience ! Il est vrai que lorsque j’ai su, au tout début, que le prochain film de Damien Chazelle allait parler de la mission Apollo 11, j’étais un peu circonspect. J’avais peur d’un film plus « banal », sur une histoire que l’on connait déjà tous, malgré l’attente de beaux visuels et d’une belle aventure vers les étoiles. Mais il faut avouer que j’avais sous-estimé le potentiel du projet. Ce qui fait vraiment plaisir avec First Man, et ce qui en fait sa force, c’est qu’il tient vraiment sa puissance de son scénario. Ce n’est pas un objet cinématographique artificiel qui mise juste sur le star-power et de jolis effets qui en jettent. Il impose une véritable réflexion, il part d’un événement historique pour explorer des thématiques vraiment humaines, et l’exploite pour élaborer un discours particulier.


Naturellement, d’un point de vue purement cinématographique, First Man est à la hauteur. Avec des filtres un brin bleu/jaune, l’image a un côté vintage qui lui permet de bien s’inscrire dans le contexte de l’époque. Ryan Gosling a un rôle qui lui convient bien, avec une froideur apparente, mais des tourments intérieurs qui appellent à le faire jouer en nuances, comme il a pu le faire précédemment. Evidemment, le reste du casting, de très haut vol, est à la hauteur, et la partition de Justin Hurwitz contribue grandement à la beauté du film, tant en accompagnant les moments intimistes qu’en proposant de grandes envolées puissantes et majestueuses. First Man est, en définitive, un film réussi, beau, et qui m’a beaucoup parlé au niveau de sa symbolique forte, pertinente et intelligente. Il est dans la lignée de Whiplash et de La La Land, il impose des épreuves à ses personnages, il crée de la magie et la détruit, il sacralise et désacralise. Sans totalement diverger du fil conducteur de sa filmographie, Damien Chazelle varie les plaisirs tout en montrant une nouvelle fois qu’il va falloir continuer à compter sur lui à l’avenir.

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le 28 oct. 2018

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