Chazelle serait-il le nouveau Kubrick, plus que Soderbergh ou Nolan ?

8,5/10


First Man n’est pas un film d’épate : si le nom d’un réalisateur lauréat du grand prix de Sundance et multi-oscarisé ne lui avait pas été associé, il y a fort à parier qu’il n’aurait pas bénéficié du dixième de sa médiatisation. Quand toutes les personnalités ont droit à leur biopic, Neil Armstrong ne faisait qu’attendre son tour, et le projet n’a donc en soi aucune originalité. Et en dehors de Ryan Gosling, dont certains films sont malgré tout passés inaperçus, le casting n’est composé que d’une étoile montante, l’omniprésente Claire Foy, et d’une jolie galerie de seconds couteaux. Même le chef op’ et le compositeur sont de relatifs inconnus quand on songe que Chazelle et Spielberg auraient pu s’offrir de grands noms comme Lubezki et Zimmer, qui leur auraient assuré un coup de projecteur bienvenu. Mais le réalisateur de Whiplash et La La Land donne l’impression de tout reprendre à plat en convoquant plutôt ses coéquipiers habituels (Justin Hurwitz à la musique, Linus Sandgren à la photographie, Tom Cross au montage) pour un film qu’il veut aussi différent que possible de ses deux précédents notamment.


La La Land lui aurait donné les moyens de mettre en scène une grande fresque spatiale, toute en plans-séquences virtuoses et colorés, First Man est l’un des films les plus amateurs de gros plans voire de très gros plans, et au montage les plus saccadés que j’aie vus de ma vie, en plus d’être relativement terne. Le grand spectacle, le ballet chromatique, sont abandonnés au profit d’une dramatisation de l’intime, de la sensation, du détail. Le contraste entre le faux plan-séquence impressionnant débutant La La Land et la première scène de First Man est assez éloquent, et je vous recommande de revoir la première pour apprécier la seconde.


Ce style artistique détonnant avec ce que l’on pouvait attendre de cette équipe créative serait bien vain s’il restait sans conséquences sur le ton du résultat. Or il accompagne et contribue à la froideur qui se dégage de First Man. Quand Whiplash brillait par son intensité, et La La Land par ses émotions, First Man s’attaque au flegmatique Neil Armstrong, un homme si connu pour son incapacité à exprimer joie ou colère que de plus en plus de spectateurs trouvent dans la conférence de presse relative à son retour de la Lune la preuve qu’il n’y est jamais allé, seul un homme honteux de mentir à ses concitoyens pouvant témoigner d’aussi peu d’enthousiasme après un tel exploit.


Une anecdote veut également qu’il ne se soit jamais réellement disputé avec sa femme, celle-ci relevant qu’un « Non » de Neil avait déjà valeur de dispute. Grâce à quelques rôles (notamment Drive et Only God Forgives pour Nicolas Winding Refn), Ryan Gosling a précisément acquis la réputation de savoir mieux « sous-jouer » que quiconque, une qualité cruciale pour incarner Armstrong, mais peu compatible avec les exigences d’un divertissement populaire.


C’est que First Man n’est pas un divertissement populaire au sens où il nous ferait passer par une succession traditionnelle de sentiments prévisibles, produisant in fine la satisfaction du spectateur. Le film n’appelle même pas à l’empathie avec un personnage excessivement distant : tout en expliquant son renfermement par sa manière de survivre au deuil de sa fille Karen, il lui donne constamment tort quand sa famille ou ses amis lui demandent de faire preuve d’humanité, de s’intéresser aux vivants plutôt qu’à son travail. Ce n’est pas dire cependant que le Neil Armstrong de First Man ne soit qu’une machine ; loin de tout manichéisme, on le voit parfois plaisanter, parfois s’émouvoir, mais toujours en conservant les nerfs d’acier qui l’ont caractérisé.


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XipeTotec
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le 11 nov. 2018

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