J'ai beaucoup apprécié les précédents films de Damien Chazelle ("Whiplash" et "La La Land") mais aucun ne m'a vraiment emporté à un niveau purement émotionnel malgré une maestria au niveau de la cinématographie et une excellente énergie. Il manquait ce petit quelque chose qui les propulserait au-delà de "très bons films" dans mon coeur. Ce petit quelque chose que "First Man" possède et qui m'a profondément touchée.


Chazelle a l'oeil d'un excellent réalisateur, mais son équipe s'est encore surpassée sur ce film à un niveau purement esthétique. Certaines images dans le dernier acte m'ont coupée le souffle par la beauté de la lumière, de la composition, des couleurs... Je crois honnêtement que je n'ai jamais vu d'aussi beaux plans dans un film.
À cette beauté esthétique, le réalisateur n'hésite pas à superposer un réalisme saisissant. Il nous montre bien les gros boulons de ces immenses boîtes de conserve qui ont emmené des gens dans l'espace, il nous fait ressentir les vibrations, le bricolage, à quel point cette technologie ne tenait à pas grand chose, et combien l'exploration de l'espace était une affaire de casse-cou et d'expérimentations.
Le grain de l'image restitue aussi bien l'époque, conférant au film un aspect d'époque bienvenue et d'autant plus immersif.


Ce que j'ai aussi énormément apprécié, c'est le point de vue que prend le film. Dans "L'étoffe des héros" notamment, on se concentre avant tout sur les événements, l'exploit, l'Histoire avec un grand H. C'est héroïque, c'est courageux, et les hommes qui ont participé à ces missions étaient presque des figures mythiques dans ces oeuvres.
Dans "First Man", c'est beaucoup plus intime. On s'intéresse presque exclusivement à ce que ressent Neil Armstrong (interprété par un Ryan Gosling parfait pour ce type de rôle), ou plutôt à ce qu'il refuse de ressentir. On nous le présente sans équivoque comme un homme de peu de mots, qui cache ses douleurs les plus profondes et se plonge dans son travail, refusant de faire face à sa famille et à l'impact que son attitude provoque. Heureusement, sa femme Janet, interprétée par une Claire Foy magistrale, n'hésite pas à le confronter quand son attitude commence à dépasser les bornes, avec quelques superbes répliques face à son mari et à ces hommes qui sont tellement obnubilés par l'exploit qu'ils en oublient de regarder autour d'eux.
Cette absence d'héroïsme et de patriotisme rend le film bien plus universel et humain, parce qu'il s'adresse à chacun d'entre-nous, peu importe nos origines et notre parcours.


Une bonne partie de "First Man" est filmé en gros plan sur les visages, avec même quelques plans à la première personne. L'ambiance se veut intimiste, et pourtant quelque part, elle m'a encore plus rappelé à quel point l'entreprise était ample et magistrale. Ces entrées dans le cockpit, cette impression de claustrophobie, cette instabilité (aussi bien émotionnelle que technique), ces douleurs et ces pertes, ces échecs et ces réussites, ces reflets de la beauté de l'espace par le scaphandre des astronautes... On connaît l'histoire, on connaît la finalité, et pourtant il parvient à y avoir un suspens, le doute plane, justement parce qu'on assiste au plus près à tout ce qui y mène. C'est aussi pourquoi le dernier acte est si efficace, quand la caméra prend de la distance, parce que la perspective explose et on se rappelle de l'ampleur de l'aventure et de l'émotion qu'elle a procurée.


Un dernier mot sur le travail sur le son et la musique, qui participent évidemment eux aussi à l'émotion. Composé par Justin Hurwitz, déjà compositeur sur "La La Land", sa musique confère un aspect onirique, un peu oppressant sur certains passages, une ombre qui plane pour venir renforcer ou accompagner ce film hautement émotionnel et humain.


Au final, "First Man" m'a conquise et touchée profondément, tant par la maîtrise de son image que du point de vue abordé et son propos. ll n'y a aucun héroïsme, le film ne commémore pas la réussite d'une nation ou même d'un homme, contre vents et tempêtes.
"First Man" nous parle du parcours et des émotions d'un homme qui sont liés à ce chemin, et du courage de faire face à nous-même.

Therru_babayaga
9
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le 19 oct. 2018

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Therru_babayaga

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