Même si on reconnaissait l’immense talent wünderkind de Damien Chazelle, il manquait toujours quelque chose à ses films. Un peu de maturité psychologique à Whiplash, une retenue dans la mise en scène dans La La Land.


Dans l’artillerie, on tire toujours deux coups « d’approche » pour régler la mire. Ensuite, on balance la purée. C’est exactement ce qu’est First Man, le coup au but après deux coups d’approche.


First Man, c’est tout simplement un très grand film, et peut-être le premier chef-d’œuvre de Damien Chazelle. Parce qu’il s’attaque à la plus grande des histoires, parce qu’il s’attaque au biopic, parce qu’il est attendu au tournant par tout le monde, la performance n’en est que plus immense. Car Chazelle sait ce qu’il faut éviter : l’illustration grotesque des faits du Grand Homme, mais aussi le film d’action, par lequel d’autres cinéastes prestigieux sont déjà passés ; le Ron Howard d’Apollo13 et le Tom Hanks de La Terre à La Lune.


Non, Damien Chazelle va parler d’un seul homme, Neil Amstrong, de sa femme et de ses enfants. De ce que ça fait sur une famille d’avoir peur tout le temps. De ce que ça fait à l’homme de s’enfermer dans une petite boîte de conserve et d’appuyer sur le bouton qui déclenche cent tonnes d’explosifs. De ce que ça fait, vraiment. Le bruit de la porte, l’écaille sur le boulon. La vision brouillée par la sueur et par la peur. De la culpabilité de penser aux copains d’Apollo morts brûlés dans le même engin. Ou au contraire, de ce que ça fait de ne pas avoir de culpabilité.


Dès la scène d’ouverture dans le X 15, on sait que First Man ne va pas être une partie de plaisir, pas un acte héroïque, pas une épopée. Les vaisseaux ne siffleront pas, immaculés, dans la ténèbre de 2001. Les astronautes ne seront pas une bande d’héroïques cowboys possédant The Right Stuff au service de l’Amérique triomphante des sixties. Au contraire, la conquête de la lune est vue comme un immense voyage mental. Une lutte psychologique contre le monde, contre la vie : femmes et enfants, journalistes et collègues, cadres de la NASA et opinion publique. Il faudra se battre pour être le premier sur la Lune, tout en prétendant hypocritement le contraire, car c’est avant tout l’esprit d’équipe que recherche la NASA. C’est avant tout une lutte contre soi-même. Il faudra donc qu’Armstrong s’extraie de tout sentiment pour avoir le mental tourné vers ce seul et unique but.


Dans Chapitre 21, William Burroughs fustigeait ces astronautes sans cœur et sans âme, ces ingénieurs, ces militaires inaptes à comprendre l’immense odyssée poétique qu’ils entreprenaient. Il fallait, selon l’écrivain beat, « laisser derrière soi toutes les ordures verbales » pour entreprendre le grand voyage. First Man ne le détrompe qu’à moitié ; Neil Armstrong était un ingénieur et un militaire, charismatique comme une huitre. Mais il a dû en effet s’extraire du monde pour franchir l’immensité glacée, se poser sur le caillou lunaire et revenir. Humain.


Evidemment, Ryan Gosling est le véhicule parfait pour ce voyage. Mais le travail du cinéaste est immense. Délaissant ses afféteries artistiques habituelles (plan séquence virtuose, image ultra léchée), Chazelle choisit l’angle du quasi reportage. Caméra portée, image à gros grain sixties, crème de la crème des acteurs (Ryan Gosling, Claire Foy, Corey Stoll, Kyle Chandler, Shea Whigham, Jason Clarke…) magnifiés par une mise en scène sobre et classique : Chazelle met toutes les ressources du cinéma au service de son histoire, et non l’inverse. Et réserve toute la beauté du film pour la Lune.


Bravo Monsieur Chazelle pour nous avoir montré cela.


cinefast

ludovico
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le 24 nov. 2018

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