Je parlerai ici d'un raccord qui m'a fait repenser, et surtout, comprendre le film.


First Man – de son français « le première homme » – compte l’histoire de Neil Armstrong, l’Homme de la lune, celui des premiers pas. Le cinéaste revient sur les événements liés à la célèbre mission Apollo 11 en adaptant la biographie officielle de l’ingénieur aérospatial. Le film compte l’histoire des débuts de la mission Gemini 8 en 1966 jusqu’à l’achèvement de l’exploration lunaire. Le raccord portera sur la scène du bracelet de sa jeune fille défunte – morte d’un cancer dans les premières minutes du film – qu’il dépose dans un cratère de lune. Il se situe en toute fin du long-métrage, après la scène mythique du drapeau et du premier pas lunaire.
L’écran donne à voir, l’espace d’un instant, l’image d’un souvenir, une nostalgie aux allures heureuses. Nous le comprenons par la différence des lieux, personnages, et luminosité du plan précédent celui-ci. Comme témoins de ce qui se déroule dans les pensées de Neil, nous sommes face à un morceau du passé, spectateur, presque intrusif, des souvenirs du personnage principal. La caméra est dynamique, en mouvement, souvent tremblante comme peut l’être un souvenir. L’objectif de la caméra est fragile et cela nous laisse embrasser, une fois le plus, l’idée de séquences souvenirs d’une famille, inscritent sur les cassettes d’un caméscope usé par le temps. La présence sur les plans de Karen nous confirme que ces images sont le témoins d’un temps révolu. La qualité de l’image – en contraste aux précédents – nous laisse, elle aussi, concéder l’hypothèse de séquences passées. Ces plans, sublimés par la bande originale de Justin Hurwitz, laissent entendre un condensé de mélancolie auditive. Le pouvoir du thérémine, à travers ce morceau de musique, nous transporte sur ce tableau avec une simplicité déconcertante. L’arrière plan laisse entrevoir un ciel teinté aux couleurs du coucher du soleil. En cette fin de journée, les couleurs chaudes font crédo : rouge, rose, orange, tout y est. Sur ce que l’on comprend comme le porche d’une maison nous observons l’astronaute en compagnie de sa petite fille, Karen, à la robe en harmonie aux couleurs du ciel. Les deux personnages pointent du doigt, chacun à leur tour, un horizon qui nous est interdit. Par le biais du hors cadrage, le mystère de ce qui est montré nous pique ; comme un secret entre un père et une fille, où spectateur, n’y avons que peu notre place. Mais finalement il n’est pas vraiment nécessaire d’entrevoir les portes de ce hors champs. En effet, nous pouvons aisément deviner ce qui fait sujet. Sous ces teintes crépusculaires, nous ressentons la discrète apparition de la Lune dans ce décor nocturne.
Et puis, subitement, dans une brusque coupure, cette position nous est dérobée. Finalement cette scène était confortable, dans ce doux lieu qu’est le souvenir et par des allures qui ne nous étaient bien éloignées et pourtant familière, nous ressentions la nostalgie d’un moment jamais vécu. L’écran affiche alors le paysage lunaire désertique le temps de quelques secondes. Plan fixe qui nous fait instantanément comprendre que nous sommes revenus au moment présent, celui des premiers pas sur la Lune, celui de la conquête spatiale. L’image est statique, presque photographique ; en effet, aucun mouvement ne dérange ce calme lunaire. Le raccord des deux plans prend son sens : ce paysage lunaire s’offre à nous comme la découverte du hors champ qui nous était, dans la scène précédente, prohibé. Nous sommes dans une caméra subjective, celle de la vue non plus des pensées du personnage mais cette fois-ci de la vue réel de l’astronaute. De par la dichotomie temporelle des deux plans (passé et présent), ce paysage lunaire nous apparait comme l’aboutissement de la scène précédente. Effectivement, cette lune qu’il ne pouvait que montrer à sa fille – qu’il ne pouvait que toucher du bout des doigts par le jeu de perspective que donne l’horizon – est maintenant a sa porté, il y a posé ses pieds. C’est une concrétisation, un achèvement. Mais quelle concrétisation ? Quel achèvement ? Et alors tout s’assemble, ou plutôt se désassemble. Cette conquête spatiale n’est pas l’histoire d’une nation, ni une guerre politique entre les différents pays ou même encore une quête de bravoure et de courage, mais plus justement l’apaisement d’une souffrance à laquelle Neil ne peut s’y résoudre, celle du deuil impossible, celle de la perte insoutenable d’un enfant. C’est dans le silence et la plénitude du cosmos que Neil s’offre le dernier souffle du souvenir de son tendre enfant parti trop tôt. Finalement, aussi grand que la conquête lunaire soit pour l’histoire de la planète Terre, elle n’est rien face à l’événement personnel qu’Armstrong subit. Et de ce fait, aussi grand les événements peuvent être, et aussi marquante une épreuve peut se montrer, elle n’est rien face au ressenti personnel. First man ne traite alors pas du voyage interstellaire le plus notable mais d’un père endeuillé et profondément seul dans sa chute abyssale du tortueux chemin qu’est celui du deuil. La perspective lunaire se dessine alors comme un chemin vers la résilience, un remède, une cure à cette incapacité de l’adieu. Le rapide retour au travail après la mort de sa fille ne s’explique plus comme une stratégie de refoulement ou d’occupation pour se désemplir l’esprit, mais bien au contraire, comme une façon d’atteindre un but. Et c’est par ce raccord entre souvenir et présent que le film prend sens. Avec ce bracelet – personnification de sa fille – il laisse Karen s’éterniser sur cette étoile morte comme un dernier hommage. Et une fois de retour sur notre planète bleue, il n’aura qu’à attendre que le crépuscule se montre, pour pouvoir la retrouver, elle, sa fille perdue, qui tous les soirs, dans le ciel de la nuit, apparaîtra par les pouvoirs lumineux du soleil. Le dépôt du bracelet dans un cratère lunaire raconte l’histoire d’un père meurtri, parti noyer son chagrin dans "les vagues de la mer de la tranquillité pour offrir à sa fille l’horizon que la Terre le lui a refusé…"

Créée

le 30 mars 2020

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