Klaus Kinski dans la jungle amazonienne, et Werner Herzog à la baguette. Ça me fait rêver. Fitzcarraldo (1982) serait-il le petit frère d’Aguirre (1972)? Tous ceux qui sont restés sur l’OVNI cinématographique plus vieux de dix ans, KO débouts par le choc cinématographique vont y aller les yeux fermés en espérant le petit miracle. Fitz, pour Fitzgerald, Fitzcarraldo a un rêve « fou ». Construire un opéra et faire venir Caruso en pleine jungle amazonienne. Folie des grandeurs et parano grandissante, il y embarque ses économies (il est petit vendeur de glace, pas de crème glacée mais de gros pains de glace). Il y embarque celles de sa maquerelle de petite amie, (Claudia Cardinale), et emprunte le million qui manque à un financier du coin. Il achète une concession à Iquitos, coin perdu loin, vierge, et peuplé uniquement d’indiens en pleine jungle amazonienne. Il achète un vieux bateau, loue un équipage et part à l’aventure. Ne dit-on pas souvent que les plus grandes réalisations sont le fruit d’illuminés qui y sont allés à la niaque envers et contre tous ? Christophe Colomb par exemple. Non?
Fitz n’est pas Aguirre. Il n’est pas fou. Il à l’air fou, c’est peut-être pire. Inconscient. Le gars qui lui a prêté l’argent lui, n’est pas bête du tout. Si dans les six mois, Fitz n’a pas réussit à prendre possession de la terre, il aura tout perdu. La concession, le terrain, son bateau, ses économies, tout reviendra au prêteur (sur gages). Donc pour celui qui lui a prêté l’argent il n’y a aucun risque. Fitz a un long historique faite de faillites plus spectaculaires les unes que les autres. C’est un loser. Ceci n’est donc pas un prêt, c’est une rente. Il en a marre de vendre des pains de glace ? Il rêve debout, Fitz, tant mieux pour lui.


L’aventure, la mutinerie, la remontée du fleuve. Les problèmes qui s’accumulent, et ça tourne au cauchemar comme prévu. Herzog aime les films "catastrophiques". S'il n'y a pas cette part de risque, de danger qui manque de foutre en l'air, il ne se sent pas bien, ça le démange. Et le tournage est dantesque comme le projet fou, le jungle est folle et sans pitié. Mais il manque clairement un petit grain de folie, la diagonale « du fou » auquel Herzog nous a (trop) habitués. Comme si la folie inhérente au projet dépassait le film. Reste le pari. Pour gagner du temps et son pari, Fitz a une idée géniale. Au lieu de contourner la montagne (trop long), il va passer par-dessus (plus court), et prendre un raccourci inattendu. Mais comment faire ? Jusqu’à preuve du contraire, les bateaux ça ne volent pas! Avec un système de poulies, graissées d’huile de coude, de force brutale, de patience; on devrait y arriver. Fou. Mais où trouver la main d’œuvre ? Surprise, les indiens du coin acceptent de jouer à l’esclave contre trois fois rien. Il faut beaucoup de petites mains pour « porter » un bateau. Ça tombe bien, ils sont nombreux. À voir...

Visuellement, c’est complètement fou. Et c’est là que réside toute la magie du film. Une aventure qui se voudrait un échec baroque, mais qui se transforme en logistique pharaonique. Un autre film dans le film. Il a dessiné un plan, Fitzgérald. Tout est calculé. Ce tour de force technique et visuel ne laisse place à aucune erreur d’appréciation. Finalement Fitz est un entrepreneur qui vise la gagne à tout prix, en prenant tous les risques. C'est pas un malade. Malgré les accidents, les contretemps, les traîtrises des uns; lui-même trahit d'autres pour son rêve irréalisable, une chimère. Mais peut-être que cette fois-ci ça va marcher, c'est tellement "bigger than life" comme rêve.
Et la résolution qui va peut-être décevoir. Le dénouement. On ne peut plus consensuel cette fin de film, tellement « happy end » que ça tombe à plat comme un pain de glace dans le plat, et casse le plat. Pas que j’aime pas les happy end, mais il est un peu maigre par rapport aux enjeux, et coupe court. Le bras de fer : petit homme/Nature qui finit par la victoire du business plan... les indiens qui sont bien dociles et spectateurs; seul le fleuve garde un peu de mystère et manque d’engloutir toute la bande de mercenaires, d’indiens, de bateau à la derive, tous des pions dans la poche de qui au fait? du « fou ». Herzog est le grand gagnant. Il a déployé un effort gigantesque et a réussit son pari, il a terminé ce film infaisable au sens propre comme au figuré. Échec ou victoire de Fitzcarraldo, celui-ci ne compte plus et s’efface derrière l’auteur, qui accomplit encore une fois une « folie ». Le vrai fou c’était donc lui. Et Fitzcarraldo, le vendeur de pain de glace toujours habillé de blanc peut retourner à la maison.

Angie_Eklespri
8
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le 17 janv. 2017

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Angie_Eklespri

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