Les Horizons Candides d'une Amérique Naïve

On ne présente plus Forrest Gump.
Chef-d’œuvre de Robert Zemeckis maintes fois récompensé, rôle clef dans la longue carrière de Tom Hanks, c’est un film emblématique de la culture populaire américaine, impératif must see parsemé de clins d’œil et d’hommages porté par une bande son extraordinaire. Le revoir presque vingt ans après, malgré les doutes et la peur d’être déçu, fait le même effet que la première fois, procure les mêmes sensations au spectateur réjoui : c’est



un admirable voyage naïf



à travers trente ans d’histoire, agrémenté d’une superbe histoire d’amour, pure, qui offre un petit bonheur de bobine cinématographique !



Petit tour des horizons candides.



D’abord, Robert Zemeckis a ses habitudes et c’est dans le confort du décor central, partiellement réaménagé, de Back To The Future qu’il ouvre Forrest Gump, avec le vol léger d’une plume qui vient se poser aux pieds, en chaussures de course, de son héros. La plume pour la poésie de la fable à venir, les running shoes pour l’allant de son personnage…



Life is like a box of chocolates. You never know what you’re
going to get.



Tout le monde la connaît, même ceux qui n’ont jamais vu le film.
Alors oui, c’est vrai pour la vie, c’est aussi vrai, parfois, pour le cinéma, et ici pour le film en question : Robert Zemeckis s’apprête à nous narrer l’Amérique à travers la légende fantasmée de son personnage. Autour d’un jeune garçon au dos tordu et à l’esprit simple et libre, le réalisateur s’amuse d’images d’archives trafiquées pour dire la bêtise du Ku Klux Klan, acte fondateur d’une certaine vision du pays dans les années évoquées par le film, et pour ramener à la vie différents présidents, de John F. Kennedy à Richard Nixon, avec la superbe implication ironique de Forrest dans le scandale du Watergate. Film hommage, le climax tourne autour de la guerre du Vietnam : de la formation de la recrue Gump façon Full Metal Jacket de Stanley Kubrick à son arrivée en hélicoptère sur le terrain, façon Apocalypse Now de Francis Ford Coppola ; même le camp s’appelle Fort Platoon… Et quelques années plus tard, l’ancien lieutenant de l’unité, cheveux longs dans un fauteuil roulant, a de furieux airs d’un certain type Born On The 4th Of July. Des tartines d’énormités appuyées, mais c’est justement ce qui fonctionne. Niveau culture populaire, le réalisateur ne s’y prend pas autrement quand il utilise le handicap du jeune héros pour inspirer le jeu de jambes d’Elvis Presley, ou sa naïveté pour dicter les paroles d’Imagine à John Lennon sur un plateau de télévision. Toute la mécanique du métrage s’articule, séquence après séquence, sur ces parallèles entre la fable et l’histoire. Plus c’est gros plus ça passe. Et ça passe diablement bien tant le spectateur, comme une plume, se laisse porter.


Parce qu’il y a autre chose.



Quelque chose qui titille le cœur de tout un chacun :



cette innocence de l’enfance que Forrest Gump ne perd jamais, qui s’humanise en l’amour qu’il porte à Jenny, sa première, sa seule véritable amie. Un amour jamais altéré, toujours vif et profond. Vrai. Pur. Un amour qui nous fait briller les yeux. Entier. Si total qu’il en devient sublime face à l’appel du vide qui hante la jeune femme, qui la pousse au loin autant qu’il la ramène vers le candide héros. Du fond du bus scolaire jusqu’à la grande manifestation pacifique contre la guerre du Vietnam à Washington, en passant par le parking du campus où Robert Zemeckis reprend ses aises en tournant une nouvelle fois une scène emblématique de Back To The Future, encore, le spectateur s’accroche autant que Forrest à celle qu’il ne peut jamais avoir : parce qu’on n’a pas les gens, on les côtoie, on les aide, on les accompagne, on les aime…
C’est bien ça qui nous fait courir.



Never thought it would take me anywhere.



S’enfuir devant la menace pour sauver sa peau et celle de ses compagnons, se laisser manipuler parce qu’on le lui demande et devenir boursier grâce à ses jambes, ou encore courir, des mois, des années durant, quitte à courir dans le vide, pour tenter de mettre le passé derrière.



Il y a de l’Amérique dans Forrest autant qu’il y a de Forrest dans l’Amérique.



Dans une grande fable populaire, Robert Zemeckis rêve l’histoire de son pays. Entre les conforts du tournage et les inventions narratives, le réalisateur d’une certaine Amérique lisse la candeur d’un peuple à l’image de son héros : sans autre ambition que celle d’aller de l’avant pour ne pas revenir sur son passé tout en tentant toujours de le réécrire. Forrest Gump est un grand film par son innocence feinte, par ses trucages et sa musique, et par sa narration. À la toute fin, la boucle est bouclée :


Forrest Gump met son fils, Forrest Junior, dans le bus pour l’école,


une nouvelle vie à construire…


et la plume s’envole haut dans le ciel, vers une autre histoire.

Matthieu_Marsan-Bach
8

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le 12 déc. 2016

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