"Foxcatcher" fait partie de ces films qui vous hantent plusieurs heures, plusieurs jours après son visionnage. Une oeuvre dont vous ne cessez de repenser, scène par scène, détail par détail, tout en trouvant un sens de plus en plus construit, de plus en plus consistant, de plus en plus travaillé. Jusqu'à ce que vous réalisiez que vous étiez en réalité devant un grand film.

Dieu sait que Bennett Miller n'aura pas volé son prix de la mise en scène l'année dernière à Cannes. Car malgré sa lenteur et sa apparence linéaire, le réalisateur entretient cette progression malsaine, faite de non-dits, de silences, d'échange de regards, de cuts instantanés, de fondus au noir. Tout cela s’enchaîne de façon logique, presque anodine. Mais pourtant, le spectateur comprend très bien que les choses se noircissent, se complexifient, se dramatisent. Une progression lente et sans fioriture, qui rendra le dénouement que plus glaçant et tragique.

Mark Schultz est un champion de lutte fraîchement médaillé, soutenu et entraîné par son frère Dave. Jusqu'au jour où John du Pont, un milliardaire excentrique, invite le jeune athlète à développer son camp de lutte libre : Foxcatcher. L'objectif est Séoul, pour les JO de 1988. L'objectif est l'Or. Mais la réalité ne sera pas si simple et claire.

"Foxcatcher" est avant tout un drame humain, dont l'équilibre narratif s'installe directement entre les frères Schultz et du Pont. Il n'y a pas de rôle principal dans le film de Miller. Il y a une histoire, un drame, alimenté par trois protagonistes aux intentions bien singulières.
Mark est un jeune homme fragile, solitaire, qui trouve dans le sport une raison de vivre, d'avancer, de se surpasser.
Son frère Dave développe la même psychologie, mais son équilibre vient de sa femme et de ses enfants. C'est un homme de famille, stable et respectueux. Et qui aime profondément son frère.
John est également un homme solitaire. Le syndrome des milliardaires. Comme Mark, il n'a pas de femme, ni d'enfant. En ce sens, la complicité semble presque naturelle au départ, puis se détourne progressivement vers une relation ambiguë, voire malsaine. Miller ne montre rien, mais quelques séances d'entrainement privées entre Mark et John, tout comme la scène exposant l’athlète en caleçon, en train de raser son Coach, prêtent à confusion. Mais John est avant tout un homme qui souffre du jugement sévère de sa mère, et qui va essayer de trouver dans cet engagement dans l'entrainement sportif une sorte de fierté flattant son ego disproportionné.

Et pour exposer toute cette épaisseur psychologique, Miller traite les situations avec distanciation et parcimonie. Il distille les détails de comportements et laisse les choses se répercuter, progressivement, naturellement. Tout est bien dosé, sans superflu. Et c'est la principale force du film.
En ce sens, "Foxcatcher" regorge de scènes fortes.
La plus parlante concernant John, est celle où sa mère fait éruption dans la salle d'entrainement et que le fiston s'improvise entraîneur pour l'épater, devant le regard gêné de Dave. La mère reste un temps, s'efforce de s'intéresser et d'y croire, puis disparaît tout d'un coup. Le spectacle est fini. John reprendra ainsi son numéro pathétique devant les caméras de télévision venues tourner un documentaire sur Foxcatcher, une autre scène clé du film. Ou comment John essaye de construire un sens à son existence, qui tiendra en définitive dans une cassette vidéo...

John du Pont est la pièce motrice de cette histoire tragique, ce qui explique que je m'y attarde plus longuement. Mais les frères Schultz participent pleinement à la construction psychologique du milliardaire. Au départ, Mark et John se lient d'amitié, une amitié dangereuse frôlant la décadence. Mais l'objectif de Foxcatcher reste tout de même les JO, la performance. Dave rentre donc en scène et rejoint le centre de du Pont. Et c'est à ce moment précis que les deux frères vont se retrouver, se refaire confiance, s'entraider, sous les yeux impuissants et maladifs du Coach. Une réaction de jalousie liée à toute l’excentricité et le besoin de pouvoir qu'une telle situation sociale peut conditionner.

Assez parler de l'histoire, parlons désormais des acteurs.
Par où commencer... Tatum peut être, touchant dans ce rôle de grosse brute sans repère, naïf et fragile. Tellement crédible dans la traduction du mental de sportif de haut niveau, imposant les pires supplices à son corps en guise de punition.
Ruffalo... Quel acteur ! Sans forcer, sans surjouer. Naturel au possible et pourtant tellement de choses se passent en un seul grattage de barbe...
Carell. Juste impressionnant. Il tient le rôle de sa carrière, inutile de préciser. Sa transformation physique et son jeu tout en maîtrise laisse place à un personnage à la fois inquiétant et triste. Remarquable.

Quel trio d'acteurs ! Ça faisait longtemps que je n'avais pas vu un film où la cohésion de jeu est aussi parlante. Et il étonnant de remarquer que le jeu des trois acteurs se rapprochent des gestuelles animalières. Les frères Schultz ont cette allure de gorille, jambes arquées, corps lourd. Tandis que John fait d'avantage penser au suricate quand il entame son semblant de footing autour de sa salle d'entrainement.

"Foxcatcher" est une giffle. Pour ne pas dire un chef d'oeuvre.
Théo-C
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le 26 janv. 2015

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Théo-C

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