La sobriété de Foxcatcher, s'il rend le film d'une austérité parfois longuette, s'inscrit avant tout dans une optique de maîtrise de son sujet. Par sa mise en scène, bien sûr, nous donnant toute sorte d'indice sur les jeux de pouvoir qui dominent nos personnages, mais également par ses thématiques, prolongement de ces jeux de pouvoir. Jeux mentaux avant tout, le désir de domination amenant des personnages eux même victimes de leur condition à toutes sortes de machination émotionnelle, non pas sur les autres mais bien sur eux-même. Ou comment se mentir à soi-même en percevant les autres en fonction de ce qu'ils peuvent nous apporter, et plus précisément, ce qu'ils peuvent nous apporter et que nous n'avons pu trouver chez celui qui devait nous le fournir.


Il est avant tout question de trouver un sentiment d'appartenance familial dans Foxcatcher. John du Pont cherche bien sûr le respect de sa mère, et Mark Schultz, lui qui n'a jamais vraiment eu de parent, espère que la nouvelle famille de son frère n'éloignera pas ce dernier de lui. Une famille littérale donc, mais également symbolique des racines du peuple de ce pays d'immigrés.


Ces sans famille trouveront dans le patriotisme américain un sentiment d'appartenance assez réconfortant pour s'y laisser bercer. Ou, comme le film peut le suggérer, le patriotisme se jette sur ces victimes et leurs faiblesses psychologiques, à la manière de John du Pont et ses discours démagogiques sur la grandeur des Etats-Unis et sa jeunesse à remettre sur le droit chemin par des modèles.


La famille du Pont, par bien des égards, a toutes les caractéristiques du pays sur lequel elle a fait sa fortune. Le fait qu'elle vive dans une maison blanche n'est sûrement pas innocent, et sa fortune s'est notamment faite en profitant des possibilités de marché amenées par la guerre. Elle se plait également à réinterpréter son histoire, en donnant une vision humaniste à son commerce durant la Guerre Civile, manipulation des masses que John reproduira grâce au pouvoir de la communication, et son documentaire le présentant comme un sauveur de toute une population en recherche d'un guide. De là à dire que les Etats-Unis pratiquent les mêmes procédés, il n'y a qu'un pas que le film franchit subtilement mais allégrement.


En multipliant les couches, Miller dresse le portrait d'un patriotisme manipulateur, se plaisant à utiliser la jeunesse de son pays pour effectuer ses tâches les plus basses, d'abandonner leur famille et racine pour un salaire qui n'en vaut pas la peine, mais surtout pour l'idée d'un pays qui ne peut leur rendre la pareille. Le film n'est cependant pas accusateur, et cherche plutôt les raisons de ce déséquilibre. John du Pont peut faire preuve d'une honnêteté touchante (même si souvent pathétique) dans son envie de faire partie du groupe qu'il a constitué, et ses actions sont avant tout amenées par une mère patrie indifférente aux grandes idées humanistes apportées par le fils.


Bennett Miller arrive avec brio à tranformer son étude de cas en étude universelle des relations, du clash des consciences qui s'opère à chaque rencontre et du désir de domination qui en découle. Les acteurs livrent pour certains la performance de leur vie, Channing Tatum étant particulièrement prenant en chien de compagnie, tout en mouvement animal, et toujours enchainé, que ce soit à la force de son frère, où au faux respect de son mentor. L'amour inconditionnel de son frère le transformera de chien à renard, et à du Pont de réaliser que le renard qu'il cherche si ardemment pour récupérer l'amour de sa mère est destiné à rester libre.


Car c'est également de liberté dont il est question. La mise en scène se plaira à présenter la maison du Pont comme une prison, un enfermement avant tout idéologique. La fin du film nous montrera Mark enfermé pour de bon dans la cage du patriotisme. Pour lui qui connait l'envers du décor de cette idée, devenir son symbole et entendre le peuple crier le nom de son pays est finalement une tragédie de laquelle il ne peut se défaire.


Miller, sans peur de tomber dans l'ambiguïté morale, fait du désir d'appartenance une caractéristique tout ce qu'il y a de plus humaine, mais qui face à la lucidité sur les pauvres possibilités qu'il amène, nous précipitera dans notre chute.

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le 18 août 2018

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