Le dernier film de Laurent Cantet - un français adaptant un écrivain américain - laisse une impression mitigée et paradoxale. En dépit de sa longueur et de sa densité, il semble rester superficiel et éparpillé. C'est un projet complexe où, au travers de l'expérience d'un gang de filles dans les années 50 aux États-Unis, il est question de lutte contre la domination masculine, des combats féministes et communautaires qui traverseront par la suite l'Atlantique. C'est d'abord et surtout un film sur l'échec des utopies dont la mise en pratique ne résiste jamais longtemps à la réalité, matérielle et humaine. La vie en groupe, fût-il lié et soudé par les mêmes aspirations, en gros le désamour, voire la haine, des hommes symbolisant le pouvoir et l'oppression, n'est jamais simple tant les personnalités pour peu qu'elles soient fortes s'y confrontent et s'y opposent. Curieusement, la force et le caractère des personnages qu'on imagine aisément déterminés et pugnaces ne traversent jamais vraiment l'écran. Les lycéennes regroupées autour de la meneuse Legs représentent plus des fonctions que des caractères et, à part deux ou trois, elles sont globalement indifférenciées. On aurait aimé que la genèse du gynécée juvénile soit davantage développée, ainsi que ses actions essentiellement limitées à des actes de vandalisme et des graffiti sur les devantures des commerçants locaux. L'arrestation de Legs et le procès qui s'ensuit conduisent dès lors le film sur d'autres territoires où le gang se transforme en une sorte de communauté hippie dans une vaste maison, vivant d'expédients et de l'argent volé aux hommes séduits et dépouillés. Le tournant est amorcé : l'utopie naïve des débuts fait place à la détermination violente des unes et au retrait, au bannissement d'autres. Ancré dans l'Amérique des années d'après-guerre où la ségrégation raciale joue encore à plein, le film est donc dense, brasse large puisque les thématiques de la révolution et du terrorisme y sont aussi présentes. Alors comment se fait-il que nous éprouvions si peu d'intérêt à la trajectoire d'un groupe qui devrait être en permanence dans la revendication et la lutte, donc l'énergie et le mouvement, alors que le réalisateur de Entre les murs préfère filmer le plus souvent oisives et bavardes ? Peut-être les actrices, dont la plupart sont des non-professionnelles ou des débutantes, manquent-elles singulièrement de charme et de charisme. Tandis que des attirances plus ou moins conscientes semblent fusionner certaines filles, notamment Maddy la narratrice, qui a consigné avec sa machine à écrire toutes les étapes de l'épopée, avec Legs, la question de la relation amoureuse - et plus généralement du rapport aux garçons auxquels quelques-unes ne restent certes pas insensibles - n'est jamais abordée. Appartenir à Foxfire passe par le vœu d'allégeance et de renoncement. Les motivations initiales qu'on peut facilement accepter, eu égard aux comportements méprisants et machistes des garçons, mais aussi des adultes, s'évaporent au fur et à mesure de la radicalisation et du repli sur soi, même si les désirs de possession (maison, voiture) normalisent malgré elles les jeunes pasionarias. Sur un sujet similaire, on avait découvert fin 2011 l'intrigant 17 filles des deux réalisatrices Muriel et Delphine Coulin. Un projet moins ambitieux et plus intimiste, cependant plus réussi et plus porteur de cinéma. Dans son approche du monde de l'adolescence, Laurent Cantet avait été autrement plus perspicace et convaincant avec son film précédent.
PatrickBraganti
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le 4 janv. 2013

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