Vous ne le savez peut-être pas, mais vos émotions sont des marchandises que vous chinez dans le but de combler le vide de votre cœur. Ce dernier, le pauvre, que vous laissez si souvent sur le bas-côté en privilégiant votre poursuite acharnée des graines semées par le système, pleure pourtant de toutes ses forces pour se faire entendre.
Que ce soit la télévision, une bagnole, un parfum, un restaurant gastronomique, un voyage organisé... ce qui compte, c'est l'expérience. L'expérience de vivre des émotions. L'expérience de vivre ce que l'on n'est plus capable de ressentir naturellement. L'expérience d'exister en tant qu'être pourvu de ses cinq sens. L'expérience de vie. On la cherche, cette vie. On ne la trouve plus. Alors, des experts de la consommation rapide d'émotions sont là pour vous aider. La main sur le cœur. Leur cœur à eux. Chacun le sien.


Plongés dans nos jungles urbaines, où la hauteur des buildings nous protège de la lumière du jour, là où, volets fermés, nous enfermons nos yeux dans des écrans de plus en plus petits, nous cloîtrons nos cœurs dans un semblant de réalité. La télévision (ou n'importe quelle plateforme) remplace les fenêtres et devient notre "regard sur le monde". Nous avalons ainsi des images qui se concurrencent entre elles, se battent corps et âmes pour glaner les quelques miettes de notre "temps de cerveau disponible" pour nous transmettre les sentiments que nous cherchons, dont nous manquons. La peur, la désolation, la tristesse, ou autres. Nous en redemandons. Elles s'en donnent à cœur joie.


Alors nous devenons programmés. Et tout devient mise en scène. Car France est peut-être un film sur le cinéma, sur la manipulation des spectateurs dans le but de transmettre l'émotion. Transmettre l'émotion, ne serait-ce pas le rôle de l'art ? France de Meurs est-elle une artiste ? Non. Car l'art ne prévoit pas à l'avance l'émotion que ressentira son récepteur. L'art ne se calibre pas dans le but de plaire à un panel. L'art interprète. L'art n'est pas la réalité. France raconterait alors cette perversion de l'art, cette confusion volontaire. Si nous sommes encore choqués devant des images de guerre, c'est parce que c'est notre rôle. France est là pour nous le faire comprendre. Si nous sommes tristes devant une famille de migrants, c'est que l'image nous demande de l'être. Ces images agissent désormais comme des signaux. Nous nous y sommes habitués. France a placé nos capteurs. Nous avons été éduqués par ces signaux.


En attendant, notre cœur, lui, ne progresse pas. Il n'apprend pas. Il ne vit pas. Nous ne savons que réagir machinalement devant une réalité mise en scène (ou une scène mise en réalité). Mais la violence, la vraie, nous la redoutons terriblement. Nous ne la connaissons pas vraiment. Nous ne sommes pas prêts à la recevoir. Elle est souvent devant nous, mais nous ne la voyons pas. Car elle n'est pas mise en scène. Elle est invisible à nos capteurs. Ces images éduquent notre regard, mais pas notre cœur. Habitués à voir des familles souffrir, nous craquons devant la cruauté et la malveillance d'autrui. Habitués à voir les villes crouler sous les bombes, nous sanglotons devant tout type de violence physique prenant place devant nous, même sur un misérable vélo. Quand cette violence surgit, nous sommes démunis. Nous manquons d'expérience.


Mais elle a quelque chose de beau, cette violence. Des larmes dévastatrices coulant sur un visage détruit au simple accident de bagnole, la cruauté est déjà magnifique. Nul besoin de la maquiller. Alors que cherche-t-on au juste ? Pourquoi tout surligner au fluo ? L'être humain en a-t-il besoin ? Doit-on se convaincre de ce que l'on est déjà censé savoir ? Sans doute. Depuis bien trop longtemps nous désapprenons. C'est ça en fait. France est un film sur le désapprentissage. Non pas la désinformation. Le désapprentissage de notre espèce qui doit se rappeler qu'elle existe, qui doit se rappeler la sensation de rire, pleurer. Plus de religion, de foi, de questionnement, de curiosité ni même d'amour pour nous guider sur notre chemin.


Ne reste que ce regard caméra. Un regard de détresse, se construisant tout au long d'un film, ses yeux se rapprochant petit à petit des nôtres.
Et vous ? Le vôtre, il bat encore ?

Créée

le 8 sept. 2021

Critique lue 146 fois

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Franky Latuile

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