Le dernier film de Bruno Dumont est si facilement détestable pour tant de raisons différentes, qu’il s’agisse de son second degré permanent, ses changements de registres telle une tragi-comédie, sans oublier la satire sur le monde des médias. N’y apercevoir que le malaise des situations sur les plateaux de télé, les répliques absurdes de certains personnages (l’assistante de la journaliste) en omettant de saisir toute l’ambition du long-métrage, c’est passer à côté du film, évidemment. Parce que France, c’est avant tout le récit d’une jeune femme au succès presque immédiat, gravissant les marches médiatiques d’une facilité déconcertante, puis une fois parvenue au sommet, voit sa vie s’effondrer progressivement. France De Meurs, interprétée par Léa Seydoux, tente de plaire au monde virtuel, revêt un autre visage en public, mais ne se sent plus que seule au milieu d’un monde, qui ne la comprend et qu’elle ne comprend plus. Décidant de se retirer des médias pour un certain temps, elle essaye de se retrouver…


Dumont utilise la mise en abîme à travers les reportages que réalise France, comme pour le cinéma, intégralement travaillés à l’avance, aux gestes des intéressés filmés, jusqu’aux textes de la journaliste. L’entièreté du film ne cesse d’en rire à notre plus grande joie, ces victimes de guerre ne comprenant pas pourquoi ils se doivent d’élever leur arme, mais le faisant quand même. Un constat s’impose alors, les reportages de France sont impertinents parce qu’irréalistes (presque démagogues comme le lui dira un autre journaliste), n’évoquant en rien ce que ce peuple vit. Paradoxalement, c’est dans l’instant présent filmé par France, que la vie est présente : des rires à l’effroi pendant un assaut, le petit écran ne peut jamais transcrire parfaitement la vie ni la réalité des choses. Cette réflexion est tout à fait intéressante, puisqu’il s’agit également d’un aveu du réalisateur sur qu’il essaye de faire par son métier. Le cinéma, d’autant plus celui de Dumont, tente de représenter la réalité qu’il s’agisse d’une manière fantaisiste, naturaliste, et le film ne cesse jamais d’illustrer toute la puissance et faiblesse même de la captation d’image. De la platitude de la scène d’accident de moto à l’impressionnant crash de voiture, d’un mouvement de caméra, l’interprétation du spectateur change comme son regard sur le monde.


Bien sûr, France est également une grande satire sur le monde de la haute classe médiatique, entre définition appuyée sur ce qu’est le capitalisme lors d’une réunion, aux réflexions critiques sur le roman du mari (Benjamin Biolay), en passant par les conseils avisés (ou non) de l’assistante de France De Meurs : on sourit comme éclate de rire devant ces remarques dénuées de tout recul, propre à un autocentrisme et amour de soi tout à fait consternant. Ce malaise, que certains iront à qualifier de non-voulu et allant à sa défaveur, c’est l’un des points majeurs du film pour satisfaire un propos moins savoureux comme moins drôle : la dépression d’une femme au sein d’un monde déshumanisé.


Critique disponible en intégralité : https://cestquoilecinema.fr/critique-france-deconnexion-de-la-realite/

Créée

le 27 août 2021

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William Carlier

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