Une fable sombre sur la fragilité du talent créatif ... et les parasites qui le menacent....

Attention inévitables spoilers, je donne ici mon interprétation du scénario ! "Frank", en dépit de longueurs, est un film étonnant et constitue une excellente surprise, je dois dire. Il s'agit ici de suivre un groupe (Les Soronprfbs!) qui produisent une musique à l'image de leur nom, fort improbable.... et pourtant étrangement fascinante. Le leader est un type dont on sait vaguement qu'il a fait un séjour en hôpital psychiatrique, et on pourrait prendre comme indice le fait qu'il porte une énorme tête de papier-mâché toute la sainte journée.
Le film est principalement présenté du point de vue de Jon, un jeune homme ambitieux mais pas trop doué qui rejoint le groupe pour remplacer au pied levé le claviériste suicidaire. Le film nous présente son intégration difficile dans le groupe, alors qu'évoluent autour de lui des gens tous aussi décalés les uns que les autres, et qu'il tombe lui aussi dans la fascination pour le lead-singer, dont la grosse tête affable semble contenir , en plus d'une confusion réelle et inquiétante, un réel et indescriptible talent pour la musique.

Je dis "intégration difficile" car c'est ici que se tient le nœud de la fable dans "Frank". Jon, personnage bien médiocre, ni bon musicien ni bon auteur, va s'attacher à la personne a-typique de Frank, et au lieu de suivre et d'apprendre du style de Franck, va en quelque sorte pervertir et compromettre l'intégrité du personnage en voulant imposer ses propres standards. La première moitié du film est plutôt comédique, et on sourit beaucoup aux aventures et frasques de cette joyeuse bande de cinglés. Et pourtant il y a une tension véritable: Jon est très mal accueilli par tous (le guitariste se dit "dégoûté" par lui) , surtout par Clara (Maggie Gyllenhaal) qui le menace franchement et qui l'accuse d'être "une tique", un parasite. Et on a bien l'impression, en entrant dans la deuxième partie du film ( bien plus sombre, presque violente), que le groupe a en effet réagi comme un organisme qui repousserait une maladie.

Il est ici abordé des question sérieuses qu'on avait pas forcément vu venir. Celle de l’intégrité artistique (Jon va presque réussir à pervertir, dans une scène assez terrible, le réel talent de Frank, pour rendre sa musique "likeable" ou monétisable, ce qui va provoquer une réaction violente du groupe), celle du respect de l'intimité et de l'image (car Jon va prostituer l'image de Franck et de ses amis en leur donnant une célébrité éphémère et infamante sur la toile). Et surtout il y a celle du respect du mystère de l'autre: obsédé par ce qui se cache sous la tête en papier-mâché (le talent de Frank, espère-t-il), Jon s'attaque à ce masque, réclame son secret, et exposera non la recette du talent , mais la fragilité terrible de ce talent, faisant bien plus de dégât qu'il ne le souhaitait.

Le film souffre de longueurs, certains personnages n'obtiennent pas le temps de parole qu'ils auraient mérité, et le propos du film est rendu flou par son côté presque absurde. Mais il est traversé aussi de moments géniaux (la "mort" du manager - mort de n'avoir pu devenir Frank, la scène étonnante de la touriste allemande qui illustre l'impact que peut avoir le talent des autres sur les gens, le personnage de Gillenhaal, véritable "anticorps" (elle attaquera Jon) et âme du groupe, prête à tout pour le défendre et qui assurera la continuité des choses. Et il y a ce très beau coup qui consiste à nous faire vraiment croire à la musique étonnante et inédite que produit Frank. Allez voir ce film, guys et guysettes, car il a plus de choses à nous dire qu'il n'y parait dans sa curieuse bande annonce (et n'a rien à voir avec Gondry je trouve)!!