En 1990 sort sur les écrans un petit film bien étrange, en théorie adoubé par un Bill Murray dithyrambique qui, dans une fameuse citation réservée à l’affiche, insiste sur le fait que les spectateurs ne verront pas meilleur film cette année-là. En pratique, il en va autrement, puisque c’est les producteurs qui ont insisté pour que le comédien-star soutienne cette péloche des plus particulières. Comme son nom l’indique avec une finesse délectable, Frankenhooker est une relecture de Frankenstein… Mais avec des putes ! De quoi réjouir les plus fins cinéphiles du monde entier !


Il serait mensonger de dire que Frankenhooker fut une surprise totale à sa sortie en 1990. Frank Henenlotter, son réalisateur, ne faisait pas ses débuts, et était attendu au tournant par les plus tordus d’entre nous. En 1982, il avait signé le cultissime Basket Case (un grand succès des cinémas de quartier), et en 1988 il avait surenchéri avec l’hilarant Brain Damage (connu chez nous sous le titre fort sympathique Elmer le remue-méninges). Totalement en marge du système hollywoodien, Henenlotter fut l’une des trois révélations du cinéma d’horreur des années 80. Sam Raimi (Evil Dead), Stuart Gordon (Re-animator) et l’homme qui nous intéresse aujourd’hui furent, pour ainsi dire, les principaux jeunes talents à se démarquer des slashers alors à leur apogée (des films dans lesquels les victimes étaient le plus couramment des ados portés sur le sexe et la drogue, donc des mauvais chrétiens).


Porté par le duo Frank Henenlotter / Robert Martin (rédacteur au magazine Fangoria), Frankenhooker ne se fit qu’à une seule condition. Cette condition, ce fut, histoire d’assurer la viabilité de l’affaire, qu’un Basket Case 2 soit mis en chantier dans la foulée. Les deux métrages furent quasiment tournés coup sur coup, et en six semaines de dur labeur naquit le bien nommé Frankenhooker.


On y retrouve James Lorinz (mémorable dans un film à se pisser dessus que tout le monde devrait voir, Street Trash de Jim Muro), grimé en Jeffrey Franken, médecin raté et savant fou à ses heures perdues. Malgré son asociabilité, ce dernier est tout de même sur le point d’épouser la charmante Elizabeth (interprétée par la pin-up Patty Mullen), qui décède en première bobine dans un tragique accident… de tondeuse à gazon. À notre Frankenstein en herbe de faire le choix, ensuite, de redonner vie à sa belle, alors en mille morceaux. Pour cela, il va soumettre des prostituées à une nouvelle drogue, le super-crack, afin de littéralement les faire exploser, d’en récupérer les meilleures parties, et enfin de reconstituer une Elizabeth parfaite. Il va sans dire qu’une fois la demoiselle réanimée, rien ne se passe comme prévu.


On retient surtout de Frankenhooker -et d’ailleurs de tous les films d’Henenlotter- un univers tout à fait particulier. Apôtre, avec John Waters, du mauvais goût, il participe à l’élaboration d’un cinéma généreux mais fauché, outrageusement gore mais assurément drôle, dans lequel horreur rime avec satire. On n’est pas dégoûtés par les images d’Henenlotter, on en rit. Pas parce qu’elles sont mauvaises, mais parce qu’elles s’imposent dans une logique de fête des sens, de cinéma à partager entre amis et à vivre comme un carnaval bizarroïde.


Il y a des couleurs dans tous les sens, des costumes extravagants, des idées visuelles frondeuses, des effets spéciaux datés mais ingénieux… Et un sous-texte peut-être un peu malhabile mais toujours présent. Ici il va de soi que le cinéaste aborde le Sida et ses modes de transmission, et pourtant regarder le film sans en saisir tous les tenants et aboutissants n’est pas foncièrement pénalisant. Les scènes mémorables s’enchaînent quasiment sans heurts et on sort de ce spectacle étrangement satisfait, comme si les quelques longueurs (de longs tunnels verbeux pallient souvent au manque de budget chez Henenlotter) ne pénalisaient pas vraiment un long-métrage follement attachant.


Frankenhooker fut auréolé d’un certain succès en salles avant de truster le top des ventes de VHS grâce à un gadget des plus surprenants. Positionné sur le recto de la jaquette, un petit bouton permettait d’entendre la réplique « Wanna Date ? » en appuyant dessus. Une stratégie payante et un succès jamais démenti pour un petit film qui continue de s’écouler plus que raisonnablement en DVD (et maintenant en Blu-Ray), la fanbase s‘élargissant avec le temps.


Qu’a fait Frank Henenlotter après Frankenhooker? Deux Basket Case dans les années 90, et plus récemment Bad Biology, un long-métrage tout aussi sympathique mais interprété avec encore plus d‘amateurisme que le film chroniqué en ces lignes. Et entre les deux, le cinéaste s’est concentré sur la restauration de nombreux films complètement timbrés, affirmant par la même sa volonté de s’éloigner des studios de cinéma qui lui proposaient des films de plus en plus mainstream. Que voulez-vous, on ne se refait pas !

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le 12 août 2012

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le 12 août 2012

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