Apparue pour la première fois dans un roman du début du XIXe siècle, la créature de Frankenstein est devenue un incontournable de l’imagerie horrifique, monstre spectaculaire, inquiétant, mais surtout intrigant. Si une première adaptation cinématographique de l’histoire fut réalisée en 1910, c’est bien cette version de 1931 qui est considérée comme étant la référence absolue à ce sujet.


Dès les premiers instants du film, le spectateur est invité à assister à un enterrement dans un cimetière lugubre, à la nuit tombée. Les lignes biscornues qui constituent le décor empêchent l’oeil du spectateur de bien se repérer, et font déjà ressortir ce climat sombre et cette atmosphère pleine de torture et de folie qui habitent tout le film. L’imagerie résolument expressionniste dans laquelle baigne Frankenstein rappelle largement les classiques des années 1920 que sont Le Cabinet du Docteur Caligari et Nosferatu, et en dit long sur ses intentions.


Modeste dans son apparence, court dans sa durée, vieillot dans son style et aux décors parfois visiblement factices, Frankenstein n’en perd pour autant pas de son intensité. L’apparition du monstre et ses manifestations ultérieures sont toutes soigneusement amenées et mises en scène pour captiver et effrayer le spectateur. Pour ce faire, le film fait la part belle au hors champ, un terme cinématographique faisant référence à tous les éléments faisant partie d’une scène, mais ne figurant pas dans le cadre de la caméra. Dans Frankenstein, la plupart des manifestations du monstre se font par des bruits de pas ou des râles rauques, suggérant la présence de la créature, sans que le spectateur sache où et à quelle distance elle se situe. Cette technique, devenue monnaie courante mais qui prenait alors une toute nouvelle dimension, le cinéma parlant en étant encore à ses tout débuts, décuple le potentiel horrifique du film, et permet de générer une sensation d’épouvante par la suggestion, plus que par la vision.


Frankenstein n’en demeure pas moins un film d’horreur, où la mort apparaît plusieurs fois à l’écran, dont une qui marque le spectateur plus que les autres.


Lors d’une scène en extérieur, la créature rencontre aux abords d’un lac une petite fille, qui cueille des fleurs et joue avec lui. Pensant bien faire, le monstre la soulève et la jette dans l’eau. Ne sachant pas nager, la petite fille coule à pic et meurt noyée, terrorisant la créature, qui s’enfuit. Choquante, cette scène provoque chez le spectateur un véritable ascenseur émotionnel. Alors revigoré par cette lueur d’espoir, la mort subite de la petite fille provoque un choc brutal qui désarçonne le spectateur, hagard.


La présence d’une telle scène dans un film de cette époque paraît stupéfiante, mais rappelons qu’en 1931, nous sommes encore à l’époque du Pre-Code, et que l’absence de réelle censure permettait la diffusion de scènes parfois choquantes comme celle-ci.


Au-delà de l’imagerie horrifique qui colle à ce film, c’est la question de la marginalité qui est également au cœur de Frankenstein. L’ambivalence permanente dont fait preuve la créature nous fait tantôt peur, nous met en colère ou nous émeut. Lui-même créé par un savant éloigné et incompris de tous, le monstre génère chez le spectateur effroi et compassion. A l’image du Fantôme de l’Opéra, son apparence physique empêche toute interaction saine avec le monde extérieur. Torturé entre son instinct de survie, le rejet du monde extérieur et sa volonté de comprendre le monde, il devient ce qu’on a fait de lui, un monstre.


Boris Karloff délivre ici la performance qui fera de lui une légende du septième art. Impressionnant dans ce rôle devenu mythique, saisissant et habité par ce personnage, il est devenu la référence incontournable parmi les adaptations de l’histoire de la créature de Frankenstein. A une époque où l’épouvante et l’horreur sont encore des thématiques très peu répandues au cinéma, Frankenstein vient créer un véritable point de rupture. Possiblement un des premiers slashers de l’histoire du cinéma, précurseur du cinéma d’horreur, il développe tous les codes qui régissent ce dernier. Devenu culte, Frankenstein est un immanquable du cinéma.

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le 19 nov. 2016

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JKDZ29

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