Décrire plutôt que montrer. Indiquer plutôt que faire ressentir.

Après Gouttes d'eau sur pierres brûlantes, que j'ai très moyennement apprécié, Frantz constitue mon second contact avec François Ozon. Si les deux films sont tous deux tirés d'une pièce de théâtre, écrite par Fassbinder pour l'une et Maurice Rostand pour l'autre, seul le deuxième a déjà bénéficié d'une adaptation à l'écran, réalisée par Ernst Lubitsch. J'ai l'ai vu quelques heures avant ma séance, bien curieux de voir comment deux cinéastes pouvait s'emparer du même matériau.


Sans rentrer dans une comparaison bête et méchante, je dirais simplement que Lubitsch réussit admirablement à matérialiser ses intentions, là où Ozon semble se perdre en cours de route. Le réalisateur germano-américain, lui-même plongé dans cette période d'après-guerre, signe un brûlot pacifiste qui brille par son efficacité formelle. Le français tente plus ou moins bien de prendre du recul sur l'h/Histoire et d'utiliser le contexte pour explorer deux thématiques : le sentiment amoureux, le mensonge...


Le film prend donc place dans une Allemagne fraichement vaincue et porte son attention sur Anna, jeune femme supportant tant bien que mal le deuil de son fiancé Frantz. L'arrivée d'Adrien, un français venu fleurir sa tombe, va apporter son lot d'émotions...et de mystère. Je suis d'ailleurs plutôt étonné par ce dernier point. Ozon déploie de multiples efforts pour cultiver les effets de surprise entourant le lien entre Adrien et Frantz, alors même que la bande annonce et le titre de l'adaptation précédente ne laissent aucun doute dessus. Je me doute qu'une bonne partie des spectateurs vont voir le film sans s'en apercevoir, mais l'info est loin d'être inaccessible pour autant, une partie des médias l'ayant relayée plus ou moins explicitement. Quoi qu'il en soit, les détours qui découlent de ce "simili" secret installent une ambiance très lourde et apathique ne comportant que très peu de nuances.


La construction du film dessert beaucoup la profondeur de son propos. Elle s'enferme dans un schéma presque scolaire : Adrien vient en Allemagne à la rencontre de la famille de Frantz puis Anna se rend en France pour retrouver Adrien. L'effet miroir amène une impression de redondance et d'artificialité. Le rapprochement des deux camps est y poussé à l'extrême, parfois maladroitement : du patriotisme aveuglant à la taille d'une robe en passant la consonance de prénoms (Franz/François). La jonction entre les deux parties souffre d'un gros problème de rythme et d'enjeu, en plus de baigner dans une overdose de pathos. Il y a même une certaine ironie à constater que les seules tentatives de relance du film passent par des "semi-twists" teintés de sentimentalisme assez grossier.


À cela s'ajoute une petite déception sur le duo Niney/Beer que j'impute davantage aux problèmes d'écriture et de montage qu'à la palette de leur jeu. Dommage par exemple que les multiples scènes étirées soient bien souvent "inutiles" à l'instauration d'une dynamique relationnelle solide, tandis que les passages clés sont évacués presque trop rapidement. Cette progression en dent-de-scie impute aux personnages quelques traits d'inconsistance malvenus.


Le choix du noir et blanc a beau être imposé par des contraintes budgétaires, il faut reconnaître que le rendu est assez élégant et qu'il sied parfaitement au contexte et au ton du film. Je suis davantage réservé par les quelques passages en couleur visant à souligner une sorte de retour à la vie. Ils ne renforcent pas ces instants fugaces, ils les supplantent. La direction d'acteur et la mise en scène seraient ainsi incapables de nous communiquer cette même intention. Ces fulgurances esthétiques se voient réduites au statut de simples tours de passe-passe formels; brillant uniquement par contraste avec la réalisation très sage du reste du film. Je pourrais dire de même de son ton trop verbeux. À défaut de pouvoir illustrer des sentiments, il les oralise.


Frantz aurait pu être un film sympathique... mais ses rares bonnes idées sont diluées dans un cadre beaucoup trop perfectible. Décrire plutôt que montrer. Indiquer plutôt que faire ressentir.

GigaHeartz
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le 2 sept. 2016

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GigaHeartz

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