Les gouffres de l'ennui (Je m'auto-flagellerai pour cette blague à la fin de la critique)

Je ne fais pas partie des ayatollah anti remake, ni des puristes qui jugent que la démarche est nécessairement mercantile : elle me rend certes un chouille méfiant mais je reconnais qu'elle peut être intéressante dans le cas de certains films. "Les griffes de la nuit" n'était pas un mauvais candidat, car si j'adore le film de Craven et qu'il reste à mon goût un des slashers les plus angoissants qui soient, il faut reconnaître que son petit côté très daté "eighties" ne lui devient pas très profitable avec le temps. Et quelle meilleur thème pour une actualisation que celui du cauchemar, ancré dans l'évolution de ce qui inspire la peur ? Donc, un remake, pourquoi pas ?


Sauf que.


Vouloir faire un remake et prendre pour cela un débutant, soit. Le sujet abordé (cauchemar, trauma d'enfance, pédophilie) est délicat mais pourquoi pas, il y a des débutants qui sortent des perles même en terrain glissant.


Vouloir faire un remake et débarrasser le film de la présence de Craven en prenant tout à contrepied, soit. Se réapproprier le film est aussi une façon de faire et on pouvait espérer que Samuel Bayer allait transmettre une vision très différente du cauchemar et de l'inconscient, quelque chose de plus ancré dans les peurs actuelles.


Sauf que si "Freddy, les griffes de la nuit" prend effectivement les leçons de son aîné à contrepied, il ne les a visiblement pas apprises et livre une réalisation impersonnelle, certes esthétique mais mille fois vue et revue. Aucune transition entre réalité et cauchemar n'est mise en place - là où la grande force du métrage de Craven était de totalement brouiller nos repères au point de rendre chaque scène angoissante par anticipation. Il y a quelques bonnes idées visuelles mais aucun réel travail d'ambiance : les cauchemars ne font pas peur. On les repère à des lieux, et on se contente d'attendre l'apparition du croque-mitaine au lieu d'être immergé progressivement dans l'atmosphère, comprenant en même temps que la victime qu'elle est en train de rêver. Ici, la scission est nette, sans finesse. Le film se paie pourtant le luxe de clins d'œil à l'original (Pourquoi ? Plaire aux fanboy qui vont de toute façon descendre ce remake en flèche et pas complètement à tort ?) qui ajoutent des incohérences et boursouflent le scénario. On a le sentiment de voir un métrage qui veut absolument se détacher de son prédécesseur mais y reste partiellement greffé pour se donner une sorte de crédibilité. Niveau rythme, le film accuse de longueurs, qui n'ont aucune utilité puisque côté ambiance comme développement des personnages, rien n'a été fait.


L'autre gros problème de ce remake est ses personnages. Soyons clairs : si je n'aime pas les slashers à de menues exceptions près, c'est parce que les personnages n'y sont rien d'autre que de la chair à taillader et que voir des ragdoll sans personnalité piailler, crier et baiser pendant vingt minutes de métrage avant de se faire égorger ne m'apporte pas grande satisfaction. Les griffes de la nuit était parvenu, de manière intelligente, à définir une vraie personnalité à ses personnages, à les rendre attachants, à construire son héroïne et à en faire une véritable adversaire pour le croque mitaine. Le remake tombe dans le cliché des adolescents pseudo dramatiques (petite astuce : lorsqu'on veut faire des ados, il est mieux de prendre des acteurs ados plutôt que des presque trentenaire...), se veulent attachants mais sont de vague copié-collé de l'éternel cliché du blanc de bonne famille catho-hétéro interchangeable (comprenons nous bien, je n'ai pas de problème avec le fait qu'il y ait un personnage de cet acabit, mais bien lorsque TOUT le casting est pioché dans le même panier et que TOUTE l'écriture des personnages les rend parfaitement indifférenciables). Ils ne sont pas crédibles en ados, pas crédibles en ados traumatisés, sans finesse, stéréotypés. On se fout de ce qui peut leur arriver. Leur écriture est prétentieuse et les rend totalement antipathiques, même. Le film se prend terriblement au sérieux, sans une pointe d'humour, même noir. Et j'éviterais de parler de l'invraisemblance des situations (l'héroïne, au premier rang lors de l'enterrement de son pote qui s'endort... bien sûr, c'est connu, on souffre tous de petits assoupissements lorsqu'on assiste aux funérailles d'un proche qu'on a vu égorger sous nos yeux.).


Le personnage de Freddy est probablement le pire : pourtant, le scénario ajoute au personnage une dimension pédophile qui aurait pu le rendre plus terrifiant, plus abject dans le jeu qu'il installait avec ses victimes mais ici, le néant, cet ajout ne fait que donner un sordide totalement gratuit au scénario. Je ne demandais pas forcément que Freddy soit drôle comme dans l'original ou dans la même lignée, juste qu'il soit davantage qu'un simple boucher sans envergure, dont les apparitions se font toujours avec la même mise en scène, répétée tout au long du film. Il est même visible dans les cinq premières minutes de film, cassant l'effet potentiellement anxiogène qu'aurait pu lui conférer Bayer en usant du hors-champ, un procédé certes pas des masses original mais efficace.


Parce qu'original, ce remake ne l'est pas : s'il s'est débarrassé de Craven - pas entièrement, d'ailleurs - ce n'est ni pour s'affirmer, ni pour livrer une autre vision du croque-mitaine, mais pour le faire rentrer dans les stéréotypes de la réalisation de film d'horreur modernes. Jumpscare. Effets spéciaux dégoulinants de numérique. Gore propret pour ne pas se ramasser une interdiction aux moins de dix huit ans. Personnages pompeux sans profondeur, sans intérêt, ne suscitant aucune sympathie. Filtre sepia dégueulasse pour donner un aspect "grunge" sans trop se fouler.


Et par-dessus tout, le film ne fait pas peur. Je suis bon public en la matière, j'ai très facilement la trouille, pourtant ce "cauchemar" ne m'a tiré que de vagues sursauts au jumpscare, plus agacés qu'effrayés, du reste. "Les griffes de la nuit" version 2010 est à la fois un mauvais remake et un mauvais film.


On retiendra quelques belles mise en scène de cauchemars, absolument pas angoissantes mais plutôt bien foutues... logique, quand on sait que Bayer s'était jusque-là illustré par des clips. Et si ses quelques bonnes idées visuelles fonctionnaient sur MTV, reste qu'ici, nous sommes à Elm Street, qui n'a jamais été aussi lisse.

SubaruKondo
3
Écrit par

Créée

le 8 nov. 2015

Critique lue 300 fois

SubaruKondo

Écrit par

Critique lue 300 fois

D'autres avis sur Freddy - Les Griffes de la nuit

Freddy - Les Griffes de la nuit
James-Betaman
7

Freddy est moche, et vous allez voir sa sale gueule pendant 1h30

J’ai menti. Je suis désolé mais j’ai menti. Lors de ma critique sur le remake de Texas Chainsaw Massacre de 2003, j’avais classé ce remake d’A Nightmare On Elm Street parmi les remakes qui s’étaient...

le 13 oct. 2017

17 j'aime

4

Freddy - Les Griffes de la nuit
jyv
1

Les Griffes de l'ennui

Freddy n'a pas brulé, il a pourri. Il reste un sweat shirt moisi et un casting d'ados tiré de twilight. Plus d'humour, plus de vision. Une espèce d'icône moitié mafia moitié gansgta rap molassonne...

Par

le 17 mai 2010

16 j'aime

6

Freddy - Les Griffes de la nuit
Miloon
4

Critique de Freddy - Les Griffes de la nuit par Miloon

Un remake de Freddy, en 2010. Après tout pourquoi pas ? Je me rappelle, quand était sorti "Freddy sort de la nuit", j'avais 10 ans. Je voyais les affiches annonçant la sortie au cinéma. Je voulais...

le 2 oct. 2010

12 j'aime

4

Du même critique

Batman & Harley Quinn
SubaruKondo
3

Tu vieillis, Bruce...

Vous, je ne sais pas, mais moi, l'Harley Quinn originale, celle de la série des années 90, me manquait beaucoup : transformée au fil des comics, jeux vidéos, anime et film en pute nymphomane pour...

le 17 août 2017

16 j'aime

Yuri!!! on Ice
SubaruKondo
7

Rouler des patins

Le Japon et les séries sportives, c'est une relation longue durée : après nous avoir offert des anime inoubliables sur le volley, le tennis, le foot, la natation, le tennis, la GRS,le karaté, le...

le 23 déc. 2016

15 j'aime