Le premier acte de Free Fire pourrait laisser croire que Ben Wheatley (High rise, Kill list) sous l’impulsion de son producteur exécutif Martin Scorsese s’est décidé à marcher sur les traces de Quentin Tarantino ou Guy Ritchie avec cette réunion de volubiles gangsters 70’s. Certes l’entrepôt comme unité de lieu, l’utilisation de musique pop des années 70 (ici Annie’s Song de John Denver) le flux et reflux de la tension et sa conclusion évoquent Reservoir Dogs mais, si il y a assez de similitudes pour justifier une comparaison Free Fire reste bien un film de Wheatley. Alors que Reservoir Dogs quittait de temps en temps l’entrepôt pour des flashbacks qui étoffaient le background de ses personnages, Free Fire, une fois tous ses protagonistes réunis, ne le quitte plus . On trouve ici des membres de l’IRA (Cillian Murphy, Michael Smiley), des trafiquants d’armes (Sharlto Copley, Babou Ceesay) et deux mystérieux intermédiaires (Armie Hammer et Brie Larson). Après un échange tendu, Chris (Cillian Murphy) est mécontent de devoir acheter des Beretta AR-70 au lieu des M16 prévus et Vern (Sharlto Copley) se montre particulièrement abrasif envers ses clients, la vente est finalement conclue mais au moment où l’argent va s’échanger le chauffeur des marchands d’armes un Jack Reynor (Sing Street) complètement méconnaissable reconnait chez un des irlandais (Sam Riley) celui qui vient d’agresser sa cousine dans un bar faisant dérailler la vente…


Tout le film est en fait une seule longue scène de gunfight qui s’étend sur plus d’une heure et si le scénario (signé par Wheatley et son épouse Amy Jump) trouve des astuces pour entretenir le mouvement quand l’histoire semble stagner (des protagonistes changent de camps, des nouveaux venus s’interposent) c’est une véritable guerre de position qui s’installe. Rapidement tous les belligérants de Free Fire subissent de multiples blessures par balle, aux jambes, aux bras, à l’épaule, aux fesses qui les contraignent à poursuivre leurs échanges balistiques et verbaux dans les débris et la poussière à l’image de cafards ou de serpents. On n’est pas ici dans un ballet aérien à la John Woo mais dans une ambiance sale et nihiliste plus proche d’un Sam Peckinpah ou d’un John Boorman. Wheatley observe ses gangsters à la manière d’un entomologiste, toute leur existence se voit condensée et réduite à des actes simples : ramper quelques mètres de plus, gravir une marche d’escalier sans mourir. Le film entame une descente anarchique vers l’absurde, à mesure que la nuit s’avance, les origines de la querelle sont oubliées et conformément aux lois de la thermodynamique le chaos de ce système isolé augmente de manière irréversible. Derrière l’apparence du film de gangsters se cache un exercice de style où le réalisateur anglais poursuit les thématiques développées dans High Rise et observe ses personnages revenir à un état primal.


En l’inscrivant dans le cadre du film de genre et en le concentrant sur une durée de 90 minutes Wheatley rend son exercice de style accessible et ludique grâce aussi à excellent casting qui abat un travail formidable. Les dialogues de Wheatley et Amy Jump permettent à chaque personnage de briller avec ses propres particularités rendant même les plus vils d’entre eux aimables à leur manière. Cillian Murphy est ce qui se rapproche le plus proche d’un héros (ou du moins d’un anti-héros) dans le film, il confère une certaine noblesse à son militant irlandais. Sharlto Copley (District 9) -remplaçant au pied levé Luke Evans – en trafiquant d’armes sud-africain, prétentieux, cupide et lâche compose un personnage clownesque accentué par l’exubérance de son costume. Brie Larson (Room, Kong Skull Island) dans le rôle de l’énigmatique Justine maîtrise à merveille le roulement d’yeux et compose un personnage tout aussi badass que ses homologues masculins. Armie Hammer (The Social network, Lone Ranger) qui, à la manière d’un Brad Pitt, cache derrière un physique d’Apollon une nature d’acteur de genre avec son personnage d’Ord « male-alpha » suave et imperturbable à la barbe luxuriante est l’acteur qui nous a le plus convaincu. On notera au passage dans un petit rôle Patrick Bergin (Jeux de guerre, Les nuits avec mon ennemi ) que les cinéphiles des années 90 ne peuvent avoir oublié tant il fut omniprésent dans cette décennie.

PatriceSteibel
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le 12 juin 2017

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