Where you put the camera is who you are. Your view of the scene, your view of the whole movie is who you are.



J’aime cette phrase, prononcée par William Friedkin himself dans une de ses nombreuses masterclass, parce qu’elle confirme une idée qui me plait: celle qui veut que le style, les thèmes et la façon personnelle de filmer en disent beaucoup sur leur auteur.


Ce que Friedkin dit aussi, ce qu’en analysant les films d’un réalisateur, sa façon de les faire, on peut en apprendre beaucoup sur lui. Et c’est absolument vrai pour ce qui est de son cas.


Jeune garçon, il arrêta les études juste après le lycée et chercha directement un job pour rentrer dans la vie active. Les forces des choses l’ont conduit à trouver un emploi dans une boite qui faisait de la télévision en direct, mais lorsqu’il y entre, son travail consiste simplement à s’occuper du courrier. Quelque temps plus tard, et parce qu’après chaque journée de travail, il se postait derrière la salle de contrôle et notait tout ce qu’il s’y disait, William Friedkin est promu régisseur de plateau.
Moins de 2 ans après son entrée dans la boîte, à une époque où le seul moyen d’arriver à certains postes était de commencer tout en bas et de monter en échelon, il est promu réalisateur de direct après plus de 100 émissions faites en plateau.
Mais ce n’est qu’après avoir vu Citizen Kane, peu de temps après sa promotion, que Friedkin décide sérieusement de devenir cinéaste. Jusqu’à aujourd’hui, il n’aura jamais reçu aucun cours de cinéma, théorique ou technique, et sa vraie éducation s’est faite dans les salles obscures. Véritable cinéphile, il considère que tout ce qu’il y a à savoir sur “comment faire un film” peut s’apprendre uniquement en regardant les films d’Hitchcock.


Tout en continuant sa carrière à la télé, Friedkin réalise en parallèle son premier film: un documentaire sur Paul Crump, un afro-américain condamné à la chaise électrique qui est dans le couloir de la mort depuis un long moment, bataillant avec la justice, et plaidant son innocence. Le film, intitulé The people vs. Paul Crump, gagnera quelques prix en festival et lui évitera la peine de mort, notamment grâce à la bonne conduite de ce dernier en prison, à une époque où celle-ci n’était absolument pas pris en compte par la justice. Une entrée en matière très symbolique pour le jeune cinéaste: “un film peut sauver une vie”.
Est-ce que c’est ce genre de parcours auquel on aurait pu s’attendre en analysant ses films? Sachant ce que Friedkin à toujours cherché, et ce qu’il décrit comme sa façon de concevoir le cinéma, c’est la spontanéité. Le sentiment que ce que raconte le film a réellement eu lieu. Ciblant le spectateur et non pas les critiques, sachant que c’est un mec qui à beaucoup adapté des faits divers (The French Connection, Cruising, To live and to die in LA, The exorcist …) et qui il a un style se rapprochant du documentaire, je pense qu’on aurait au moins pu comprendre qu’il était attiré par le réel. En effet, il dit:



We live in 2 different worlds: the real life and our dream life, but
I am much more concerned with the world that I see in front of me.



Aussi, ses films étudient la condition humaine, et plus précisément, la fine ligne qui sépare le bien du mal que l’on à tous en nous. Il ne croit pas que les gens soient tout blanc ou tout noir. De la même façon, il trouve que les personnages qui vivent sans alternatifs, dos au mur, sont propices à des situations dramatiques intéressantes. Enfin, toujours dans sa quête d’authenticité, il essaie de sortir des clichés et d’offrir des fins de films en nuances, laissant un peu d’espoir, loin des fins trop tranchées et fermées.


The French Connection, c’est le film qui représente le mieux son cinéma, en plus d’être celui qui a véritablement lancé sa carrière, tout en popularisant le style se rapprochant du documentaire et le genre “cop movie” avec un héros penchant vers le côté obscur. Un flic plus gris que blanc.


Il faut bien comprendre que le film est sortit à un moment où on ne voyait que des flics parfait à la télé, et que la première scène du film montrant le duo de flics est une scène où ils pourchassent puis tabassent un afro-américain. Dans la 2ème scène, on entend un des 2 flics dire “Never trust a nigger”, là aussi, à une époque où c’était encore tabou. D’ailleurs, Roy Schneider, le second flic du duo, qui à vu pour la première fois le film dans un cinéma des quartiers “noirs” de New York, raconte que l’audience à applaudit quand ils ont entendu ces mots. Sans doute parce que c’est une image des flics qu’on ne montrait pas à l’époque, mais que les noirs américains trouvaient véridique vu qu’ils y étaient confronté dans leur quotidien.


William Friedkin n’a pas peur de montrer ce qu’il considère comme la réalité, même quand elle est choquante. Il va donc se permettre de parfois tuer ses personnages principaux ou leur offrir des destins tragiques, et même, pour ce qui est de The French Connection, de faire un film policier où à la fin les héros n’arrêtent pas les méchants. Du jamais vu. Autre aspect intéressant du film, à l’opposé des clichés, le fait que l’attitude du héros (gentil) et du méchant soit inversés: le vendeur de drogue est un gentleman respectueux, poli, bien habillé et qui s’y connait en bonne bouffe, et le héros est un mec violent, qui ne respectent pas la loi et qui mange des pizzas à emporter, joué par le désormais célèbre Gene Hackman, qui était loin d’être le premier choix du réalisateur pour le rôle.


Il faut aussi savoir que l’aspect spontané et réaliste de ces films vient également de sa direction d’acteurs et de plateau. Friedkin n’organise aucun casting pour trouver ses acteurs, il les a vu quelques parts et les veut, se faisant confiance pour juger s’ils seraient bons pour le rôle ou non. Il n’organise pas de répétition, de lecture, et ne leur donne que très peu d’informations: “tu passes par cette porte, tu dis quelque chose à cette dame, tu réfléchis 2 sec et tu t’en vas par cette porte”, dans le genre. Et c’est pour ça qu’il à besoin d’acteurs qui SONT littéralement leur personnage et qui n’ont pas besoin de maquillage pour paraître plus jeune, plus vieux, ou je ne sais quel transformation physique. Tout est fait pour être le plus spontané possible. Sur le plateau et à la technique, ça se passe de la même façon: pas de rail de travelling, des chaises roulantes ont été utilisés à la place. Pas de storyboard, scènes faites en 1 seule prise, pas de “action” ou de “coupez”(les acteurs ne savent pas quand ils sont filmés), éclairage principalement naturel et peu d’informations données au cameraman, qui sur The French Connection était un mec directement issu du reportage qui avait filmé la révolution Cubaine. “Tu te mets là, un mec va sortir par cette porte et va se mettre à courir …”. C’était à lui de trouver l’action, la caméra à l’épaule appuyant l’aspect vivant et réaliste de la mise en scène.


Vous l’aurez compris, Friedkin n’a pas des façons “classiques” de faire. Il lui est même arrivé de tirer en l’air avec un pistolet à blanc pour effrayer des acteurs ou même de les gifler afin de les mettre dans une situation émotionnelle forte propice à la scène. C’est aussi le genre de mec à retarder la livraison d’un film pour qu’il n’y ait pas de “previews” d’organisées, pour éviter la censure ou qu’on touche au montage de son film . En l'occurrence pour The French Connection, le directeur de 20th Century Fox à l’époque avait détesté le film quand il l’avait vu pour la première fois, avant qu’il ne soit donc diffusé. Ce mec, qui était avant d’être promu, un célèbre monteur, avait demandé au réalisateur de faire des changements parce qu’il n’avait pas vraiment tout compris du film. Sauf que Friedkin ne se laisse pas faire: étant persuadé que ce mec ne savait pas ce qu’il disait, il lui montra exactement le même film en lui disant qu’il avait fait les changements demandés, et le mec trouva le film beaucoup mieux, alors qu’il n’avait pas du tout été modifié. Un cinéaste qui a du culot, et ça finit par payer.


Il est difficile de parler de culot sans parler de la course poursuite dans et sous le métro, considérée comme une des meilleures scènes de course poursuite du cinéma. Déjà, l’idée est dingue: une voiture suivant le métro qui est au dessus d’elle. Scorsese dira lui même qu’après une idée pareille, il est impossible de faire mieux. Ensuite, la réalisation: tournant sans aucune autorisation, et allant à plus de 140 km/h en ville pendant environ 600 mètres, le fait que personne n’ait été blessé pendant la scène est un miracle. La voiture de Hackman n’était censé toucher aucune autre voiture, seulement les frôler, et c’était Friedkin en personne qui était posté à l’arrière, filmant derrière l’épaule du conducteur, parce que le cameraman et le directeur photo avait une femme et des enfants, eux, et lui non. La seule chose qu’ils avaient pour éviter la casse, c’était une sirène de police. Tout ce qu’on voit à l’écran à vraiment été fait, en 1 prise, et capté par la caméra. De nos jour, le numérique permet tout, mais à l’époque, on devait réellement faire ce qu’on voulait montrer, on ne pouvait pas se cacher derrière des effets spéciaux. Le montage frénétique achève d’hisser la scène au panthéon, restant malgré tout lisible en toute circonstance.


The French Connection, c’est une autre petite révolution, captée à bout de bras par le cameraman Ricky Bravo. Il y a un avant et un après. Le film, en allant à l’encontre des clichés et grâce à son impression de réel, donne un nouveau souffle au genre qu’est le “cop movie”.
Le coup de feu final, à la fin du film? Aucun mystère, la simple volonté de Friedkin de finir le film avec un “bang”, rien de plus. Mais les gens (plus précisément les critiques) trouvent génial ce qu’il ne comprennent pas.


A travers sa façon de faire des films, on se fait une idée de qui est William Friedkin: un mec spontané, humain, populaire, cash, audacieux, qui n’a peur de bousculer le spectateur et la bienséance. Et c’est peut-être pour ça qu’il est si agréable à écouter, en interview ou masterclass. C’est aussi simplement parce que c’est un excellent raconteur d’histoire.
Personnellement, j’ai aimé l’homme avant d’aimer ses films, mais la réciproque fonctionne: si ses films en disent beaucoup sur lui, sa façon d’être en dit aussi beaucoup sur son cinéma.

Ghettoyaco
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le 10 avr. 2017

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