C'est l'histoire de Mathieu Kassovitz qui veut faire un film de Science-Fiction parlant de notre monde et de ses problèmes, mais il veut le faire à l'échelle américaine pour prouver que c'est possible. C'est l'histoire de Vin Diesel qui veut faire un film de Science-Fiction où il pourra véhiculer son image de star.
En fait c'est l'histoire de deux connards narcissiques qui font un film en pensant que le con, c'est l'autre. C'est surtout l'histoire d'un tournage de merde qui donnera un film du même acabit.


Voir un réalisateur revenir sur un de ses films, qui plus est un film aussi récent, pour dire franchement que c'est un échec parce que le tournage s'est très mal passé est rare. Au programme : pas de featurette promo où tout le monde est content de tout le monde, non. A la place on voit Mathieu Kassovitz qui gueule sur le plateau parce que le décor ne ressemble à rien, parce que les techniciens traînent, parce que des trucs demandé depuis des semaines ne sont toujours pas prêt. Un tournage pris sur le vif, littéralement, avec tous ces moments de pétage de plomb qu'ont connu tous les participants à un tournage, quel que soit l'envergure de celui-ci d'ailleurs. Voir Kassovitiz plongé dans l'action, le voir prendre la caméra pour filmer lui-même les bastons, le voir hurler sur tout le monde, c'est un document vraiment précieux et captivant. On voit littéralement la création à l'oeuvre. Réputé pour sa grande gueule et son manque de retenu on s'aperçoit que c'est vraiment sa façon d'être.


Mais derrière un réalisateur sous pression qui essaye d'emmener son film dans une direction pointe aussi une production qui veut l'emmener dans une autre. Ce que le film n'explique pas bien, et c'est sa première erreur, c'est qu'il est produit à la fois par la France via Studio Canal et les USA via la Fox. Avec le financement américain vient un support logistique et de quoi séduire une grosse star : Vin Diesel. Et Vin Diesel ne semble pas très bien comprendre où va le film ni les méthodes du réalisateur. S'installe alors une tension entre les deux hommes qui ne retombera plus jusqu'au dernier jour du tournage.


Le film montre bien les errances de la production où personne ne semble comprendre vraiment ce qu'il se passe. Il montre bien, aussi, un Vin Diesel qui freine des quatre fers, un monsieur muscle qui refuse de faire les cascades lui-même et qui se permet de réécrire le script dans le dos du réalisateur, allant jusqu'à rapporter lui-même un nouveau réalisateur pour finir l'ouvrage. Des choses qui ne sont pas propres à Babylon A.D. et dont on a déjà entendu parlé mais le voir pour la première fois en image ainsi est assez édifiant, là aussi on a le droit à une vraie leçon de cinéma, le visage du business pur et dur.


Mais le film de François-Régis Jeanne tombe dans des écueils facheux. Le film passe beaucoup de temps à nous compter les soucis techniques et autres improvisations qui ont dû être faite pour y pallier. Pourtant en regardant le film ce n'est pas forcément ce qui saute aux yeux, la facture purement technique est respectable, voire plutôt réussie sur certains points. Ce qui plombe le plus Babylon A.D c'est bien son script indigent, hors "Fucking Kassovitz" ne revient quasiment jamais dessus. La pré-production du film est abordée 90 secondes, pas plus. Pourtant difficile de ne pas croire qu'une partie du fiasco se trouvait aussi à ce moment-là. Lors de de l'orientation et du choix des thèmes du film. Autant de choses confuses et pénalisantes à l'arrivée. On passe beaucoup de temps sur le tournage de la fusillade de New York alors que la scène en elle-même n'est pas ce qui pose problème, c'est toute la dernière demie-heure qui est imbitable. Un amalgame improbable de religion, de kung fu, de vengeance, de manipulations mentales... une fin complètement incompréhensible pour le spectateur. Las on en restera aux déboires techniques, on ne saura jamais vraiment quel impact ont eu les fameuses réécritures de Vin Diesel sur le script.. à moins bien sûr qu'il n'y en ait pas eu finalement.


Car le film prend définitivement le parti de Kassovitz et de son staff français sans jamais essayer de montrer les choses sous le point de vue américain. Bien sûr on voit mal la Fox ou Vincent Gasoil accepter d'en parler mais le film donne surtout l'impression qu'on n'a même pas essayé de le faire. A plusieurs moments Mathieu Kassovitz se comporte comme un sacré connard lui aussi, débordant d'une mauvaise foi qu'on devine le fruit d'un orgueil blessé. Il y a par exemple ce moment où Vin Diesel refuse de tourner une scène qu'il juge ridicule pour son personnage. Une scène qui, une fois dans le film, est effectivement bien pourrie alors qu'elle est censée rendre le personnage plus humain. On voit Kassovitz qui rumine sans mot dire. C'est là qu'on apprécie tout particulièrement les interventions de Mélanie Thierry qui avoue que les problèmes de communications ne venaient pas toujours des américains. L'actrice apporte un regard un peu nuancé sur les évènements et ça fait plutôt du bien. Mais Kassovitz lui s'obstine, une qualité autant qu'un défaut, il ne semble jamais avoir tort...


Le voir travailler reste passionnant, il en est même parfois vraiment touchant dans son désespoir de créateur. Mais Mathieu Kassovitz oublie bien vite qu'il sortait tout juste de Gothika qui était un naufrage artistique total et que, juste avant, ses Rivières Pourpres n'ont dû leur succès qu'au casting et à l'aura du roman de Gangé. De là à dire qu'il n'avait pas forcément les épaules assez solide pour un projet de cette envergure, il n'y a qu'un pas. Une remise en question qui n'arrivera pas. Lorsque ce documentaire nous offre, en phrase de conclusion, un gros plan de Kassovitz qui dit ne pas comprendre ce que lui a merdé dans ce projet on se dit que, tout de même, il est gonflé de nous dire ça. Le vrai problème ne vient pas tant de la déclaration elle-même, après tout le personnage est entier et borné, mais du fait que François-Régis Jeanne ne cherche jamais à pointer les contradictions de son sujet. Voir les gentils martyrs français luttant contre la méchante machine hollywoodienne déshumanisée est un portrait vraiment trop simpliste. Vraiment dommage que "Fucking Kassovitz" s'en contente. Reste un portrait de tournage saisissant, à contre-courant de tous les bonus marketing merdeux qu'on nous sert à longueur d'édition qui n'ont de collector que le nom, mais qui sacrifie un peu son aspect "coup de poing" sur l'autel de la complaisance.

Vnr-Herzog
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le 22 avr. 2013

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le 22 avr. 2013

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