! Spoiler ! (sauf premier paragraphe)

Avant tout chose, ceux n'ayant pas vu le film (ou son remake) devraient se contenter de ne lire que le premier paragraphe de ma critique, le reste étant de l'ordre du SPOILER (et je ne prends pas de gants). Car j'ai regardé Funny Games sans en savoir grand chose, juste en sachant qu'il était violent. Et je confirme ; le film nous fait s'interroger sur notre rapport à la violence et à sa transposition au cinéma (ou autre média/support) avec un propos intelligent et subtil. Là où, encore plus de nos jours qu'en 1998, la violence à l'écran est devenu objet de banalité et non plus de tabou. Ayant déjà vu plusieurs films connus pour être violents et choquants (Saw ou Hostel par exemple), jamais un film ne m'aura plus choqué que celui-ci.

Peut-on filmer l'horreur pure ? C'est ce qu'on pourrait se demander tant certains films réputés pour cette qualité sont au final plutôt grossiers et à la limite du comique. Haneke nous filme ici une histoire macabre qui n'a pas de dénouement heureux, voire pas de dénouement tout court. On visionne une partie d'un cercle vicieux, la fin rejoignant le début. On aurait pu s'attarder sur l’événement précédant l'arrivée de cette famille ou bien sur celui qui va suivre, le propos n'en serait pas changé.
On reste complètement impuissant face à ce qu'il se passe, on ne peut pas intervenir, c'est la dure loi de la fiction et pourtant on meurt d'envie d'aider cette pauvre famille complètement dépassée, tout comme nous.

La tension monte, petit à petit, telle que la vivent les victimes. Quand ce jeune homme blond, poli et au visage innocent vient quémander quelques œufs, comment la mère aurait pu imaginer une seconde être face à un psychopathe, au meurtrier de son fils... La tension dans cette scène monte petit à petit, et on sent que quelque chose cloche chez ce jeune homme, la mère aussi. Voila ce qui résume bien la tension tout au long du film, une montée croissante mais Ô combien puissante.

Du coté de la réalisation, Haneke a tout soigné, plans fixes la plupart du temps, très longs plans le plus souvent, on s'attarde sur l’événement précis et non pas sur un enchaînement d'action horrifique frénétique.
Des scènes magistrales et émotionnelles (le plan séquence après le premier meurtre est poignant, choquant et ne se résume qu'à un vide abyssale, ce que vivent les parents) et une maîtrise du hors-champ exceptionnelle : Funny Games ne fait pas plein cadre sur la violence visuelle.

Les acteurs sont excellents. Le duo de psychopathe est parfait (glaçants et nous mettent mal à l'aise), la famille aussi. Entendre Ulrich Mühe hurler à la mort après la perte de son fils (et un sacré silence tout de même), ça m'a pris à l'estomac. Il n'y a pas de bande-son (outre le générique de début et fin), il n'y a pas de musiques stressantes, terrifiantes... du vide et voila.

Mais là où Funny Games fait aussi très fort c'est dans son appel au spectateur. Comment ne pas évoquer Arno Frisch parlant à la caméra, donc aux spectateurs, en leur disant "hey, il n'y pas d'espoir, même si vous êtes de leurs cotés"... Ces moments là mettent mal à l'aise (car déjà l'acteur est effrayant) et ils nous remettent dans notre condition de spectateur passif/impuissant restant là à regarder sans décrocher.
Et que dire de ce passage de la télécommande. On croit à un dénouement et je dois avouer que mon cœur à ce moment a bondi ! Enfin un début de dénouement pour cette famille, enfin un sort mérité pour ces psychopathes. Mais aussitôt le personnage de Arno Frisch nous brise en plein élan et nous assistons impuissant à l'horreur de la fin.

Funny Games est un film choquant, magistral et bouleversant. Il est dur de ressortir de ce film sans se poser quelques questions sur la violence, le cinéma et notre rapport aux deux. Haneke a frappé fort avec ce film, 12 ans après je le découvre et je le trouve encore très en phase (et je pense qu'il le sera encore dans longtemps) avec notre monde.
Ordos
9
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le 19 mars 2011

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Ordos

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