"Funny Games" fait partie de ces films que j'avais vraiment envie de voir mais dont j'ai longtemps retardé le visionnage, pour deux raisons principales : la peur d'être déçu et la réputation qui l'entoure, "malsain" étant sans doute l'adjectif employé le plus souvent pour le qualifier. Le problème dans ces cas-là étant qu'on ne peut jamais savoir à quel point l'oeuvre en question sera dérangeante.

C'est donc en connaissance de cause que je peux à présent le confirmer : oui, "Funny Games" est vraiment malsain. On y suit le calvaire d'une famille un peu bourgeoise partie en vacances dans sa résidence secondaire située au bord d'un lac et, malheureusement pour eux, perdue au milieu de nulle part. Peu après leur arrivée, débarquent un, puis deux inconnus qui se présentent comme des amis de voisins, se tapent l’incruste sous des prétextes bidons et sont juste des psychopathes en puissance qui vont ruiner leur existence.
En effet, Pierre et Paul ont beau avoir des prénoms de saints, ils ne sont pas des anges, loin de là. On pourrait le croire pourtant au premier abord : ils sont jeunes, fringués tout en blanc, de manière assez simple, si bien qu'ils ressemblent à des enfants qui auraient grandi trop vite. Leur look participe grandement à installer une sensation diffuse de malaise, parce que le problème... Ce sont les gants, ces gants d'une blancheur immaculée qui leur donnent l'air de personnages de dessin animé vaguement inquiétants. Jusqu’à ce qu’ils deviennent carrément monstrueux et que leur sadisme explose au grand jour.

Dans ce film au titre, vous l’aurez compris, totalement ironique, Haneke joue, lui aussi. Il est un peu comme mon chat quand il vient de choper une souris. La violence y est davantage suggérée que montrée, et le réalisateur préférera par exemple s’attarder sur le visage décomposé de la femme lorsque son mari se fait mutiler au couteau, plutôt que de filmer la scène de torture en elle-même. Mais vu qu’on entend ce qui se passe, on en vient à se demander si ce que nous fait subir le réalisateur n’est pas pire, finalement ! "Funny Games" fourmille de moments de ce genre qui mettent les nerfs à rude épreuve, comme cet instant improbable où Paul, affolé par la mort de son taré de pote, cherche la télécommande et effectue un rewind sur la pellicule pour le faire revenir à la vie. Y’a pas à dire, ça a plus de classe qu’un massage cardiaque, et ça prouve surtout que Haneke refuse de se laisser enfermer dans un scénario téléphoné qui mènerait tranquillement le spectateur vers une happy end conventionnelle. Autant le dire tout de suite, s’il y a bien deux choses qui sont absentes de ce long-métrage, ce sont l’espoir et l’empathie. Et pour couronner le tout, aucune explication ne nous sera donnée quant aux motivations et à l’attitude de Peter et Paul, si ce n’est simplement le plaisir de faire souffrir.
En revanche, on a droit à du contraste par pelletées, et ce dès le début du film, où la bande son alterne entre musique classique et métal hardcore… Le calme avant la tempête, un peu comme un mauvais présage. Contrastes de gabarits aussi entre les deux bourreaux (l’un est grand et mince, l’autre petit et rond), de couleurs avec ces murs blanc qui se tâchent soudain de sang, d’ambiances avec ces longues plages de silence que viennent tout à coup déchirer les cris et la douleur… Sans oublier cette opposition saisissante entre le détachement sordide, presque naïf, le calme dont fait preuve notre duo de déséquilibrés face à cette famille à qui ils font pourtant vivre l’enfer et l’humiliation.

Il faut bien l’avouer, ce sont pourtant cette virtuosité glaçante à banaliser la violence la plus effroyable, cette capacité à souffler le chaud et le froid, cette tension latente, cet esthétisme de la barbarie, cette volonté de sortir des sentiers battus du thriller horrifique et le talent de ses acteurs qui font de "Funny Games" un incontournable, qui assène sa vérité nihiliste et cruelle avec un degré de cynisme rarement égalé. Les serial killers de Haneke ne portent pas de masques horribles, n’utilisent pas d’armes particulièrement sophistiquées, ne se cachent pas dans un coin pour vous sauter dessus. Ce sont juste des prédateurs qui n’ont aucune considération pour la vie comme pour la mort de quelqu’un, car pour eux tout ça n’est qu’un jeu absurde. Ce qui les rend d’autant plus effrayants.

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le 12 oct. 2013

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Psychedeclic

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