Je parlais dans un récent article d'une comédie médiocre, dénuée d'ambition et de talent, ne reposant que sur les qualités de ses acteurs mais qui étrangement avait rencontré un énorme succès public et même critique...


Funny People est exactement l'exemple inverse:


on a ici une œuvre d'une ambition et d'un culot dingue, merveilleusement construite, écrite, mise en scène et brillamment interprétée... Un film constamment surprenant, souvent hilarant, parfois glaçant et toujours émouvant et, bizarrement, un film qui a été accueilli un peu tièdement par la critique et qui est passé pratiquement inaperçu en France, malgré l'excellente réputation de son réalisateur Judd Apatow et le statut de film culte acquis et mérité par ses deux précédent films, 40 ans toujours puceau et En cloque mode d'emploi.


Cet échec repose sans doute sur plusieurs malentendus...


A commencer par le casting... Adam Sandler et Seth Rodgen, associés au nom d'Apatow, laissent probablement augurer d'une franche et grasse comédie paillarde et le film a sans doute pu en rebuter certains par la finesse de son écriture autant que par la noirceur de son sujet.
En effet voila un film qui traite en tout premier lieu de l'agonie d'une star comique, de la galère d'autres apprentis comédiens et des désillusions artistiques, amoureuses et amicales... A priori, pas ce qui se trouve de plus vendeur sur le marché...


Ensuite il y a la durée et le rythme du film... 2h33 dans sa version "unrated" en DVD et 2h26 au cinéma, voila bien une durée très inhabituelle pour ce type de comédies populaires, d'autant que le film ne craint jamais d'étirer le temps et de faire naître le gag, le rire ou l'émotion de cet étirement... Il faut ajouter que le scénario est très "écrit" et qu'il est savamment construit pour - en premier lieu - faire exister puissamment tous ses personnages et rendre incroyablement juste et crédible chaque situations dans toute leur complexité. Et le récit, très éclaté, multiplie les sujets, s'offre des digressions (comme dans la vraie vie...) et ne craint même pas de s'attarder sur les scènes de stand up pour laisser les acteurs jouer leur rôles de comiques totalement, jusqu'au bout...


Un culot incroyable qui consiste à utiliser comme matériau de comédie quelque chose d'assez peu drôle finalement.
Car si l'on y regarde de plus près, les extraits de films, les émissions de télé et les sketches de ces comédiens ne sont jamais très drôles et s'avèrent même parfois sinistres... Construire tout une comédie sur ce terreau aussi peu fertile est à la fois une nouvelle preuve de l'affection sincère et profonde d'Apatow pour les loosers magnifiques et de son talent inouï à sublimer ce matériau narratif de base pour le faire atteindre à quelque chose de magnifique, d'hilarant, de bouleversant, parfois, mais surtout, de parvenir à un résultat unique et inédit, totalement maîtrisé et très personnel.


Partir de l'agonie d'un comique célèbre comme point de départ et en faire la première heure la plus désarçonnante et hilarante qui soit est déjà une gageure en soi, mais opérer à mi chemin, un virage à 180° vers la mélo-comédie romantique est un vrai risque de perdre en route le spectateur... sauf qu'ici tout se tient si bien que l'on suit le mouvement sans même se poser la question et que cette évolution met un peu nos rires entre parenthèses (jamais bien longtemps...) pour nous coller les larmes aux yeux... et quand on s'installe à nouveau dans ce deuxième film, l'arrivée d'Eric Bana nous replonge dans la comédie pure... et Apatow, sans jamais prendre le spectateur pour un con en le tenant par la main, le retient par contre par le bout du nez tant son film reste passionnant... Et il s'apprête à nous cueillir une nouvelle fois sur la fin en nous offrant un quatrième film en forme de "Bro-mance" comme il en a le secret comme producteur et scénariste (SuperGrave, Pineapple express...).


On vient donc de se prendre dans la tronche pendant plus de deux heures et demi, un comédie poilante, un mélo bouleversant, une chronique satirique et un poil cynique, une comédie romantique et un buddy movie, tous merveilleusement imbriqués et tous parfaitement réussis...


Personnellement j'appelle ça du cinéma, et même du grand cinéma... d'auteur, n'ayons pas peur des mots !


Et c'est sans doute là que réside le principal malentendu qui aura empêché Funny People de trouver son public:
les distributeurs français ne savent pas comment vendre cette came là... les étiquettes ne tiennent pas sur sa couenne...


Depuis des années les films d'Apatow (réalisateur ou producteur) sont systématiquement soldés avec des titres pourris dans la grande distribution des multiplexes et en VF, exclusivement (en tous cas en province...) excluant donc d'office un public plus pointu ou plus cinéphile... Le circuit "Art & Essai", lui, ne semble toujours pas avoir compris qu'il tenait enfin là un véritable auteur et que ses comédies, tout en étant extrêmement contemporaines, tutoyaient l'age d'or de la comédie américaine et des auteurs comme Lubitsch, Wilder, Donen, et que si, pour le moment elles n'avaient peut-être pas encore atteint ce degré de génie dans la mise en scène, elles étaient malgré tout très ambitieuses et que leur maitrise était même en progression spectaculaire avec ce film épatant.
Mais, en attendant, pas de diffusion dans ces circuits non plus (on en reparlera dans 20 ans quand Funny People sera devenu un classique...).


Résultat: il devient très difficile aujourd'hui de découvrir ces films en salle, le problème étant le même pour les sorties sacrifiées des derniers films des frères Farelly ou pour la majeure partie des films d'horreur, aussi, désormais...
On élargit ainsi toujours davantage le canyon entre un cinéma populaire de plus en plus débilitant (notamment en matière de comédie, en France comme aux USA...) et un cinéma d'auteur souvent élitiste, creusant ainsi la tombe d'un vrai grand cinéma d'auteur populaire mais jamais populiste qui garderait l'intention de niveler par le haut du panier...


Mais c'est aussi de ce deuil là, en fait, que traite ces Funny People, beaucoup plus sombres qu'ils n'y paraissaient au départ... finalement.


Un très grand film !


Le DVD zone 1 US pourvu de sous-titres français et déjà sorti depuis un bon moment, si vous êtes munis d'un lecteur DVD dézonné et que vous souhaitez faire une bonne affaire, il y a moyen sur Amazon.uk ou eBay de trouver à prix modique... Cette édition Zone 2 contient la version cinéma et le director's cut plus long de 13 minutes par rapport à la version française mais ne contient aucun bonus excepté un très maigre bêtisier et un commentaire audio de Judd Apatow


Edition française Collector 2DVD également disponible depuis le 25 mai 2010, mais uniquement dans sa version cinéma française de 2h20, soit 13 minutes de bonheur en moins... Mais le deuxième DVD de bonus vient enrichir l'affaire de moult bonus, contenant notamment les scènes coupées du Director's cut US... et plein d'autres choses. A vous de voir...


Si le film seul vous intéresse, optez pour l'US... si vous êtes friands de bonus et que le film vous plait plus court, achetez français... Et si, comme moi, vous êtes méchamment mordus de ce film, vous ferez peut-être une double dépense, allez savoir !

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le 11 août 2014

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Foxart

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