Mardi 7 mai 2019.
23h41.
Demain, on sera le 8 mai.
Demain, on sera le jour de l'armistice de 1945.
Demain, sera un jour de souvenir.
Demain, tout le monde s'en foutra, ou presque.
En avril 1945, pourtant, de pauvres bougres continuaient de se faire trouer la panse pendant qu'Hitler commençait sérieusement à se faire dessus au fond de son bunker. Et je ne résiste pas à l'envie de foncer dans le tas en évoquant aussitôt le casting interprétant ces soldats américains dont nous suivons la progression pendant près de 24h. Brad Pitt n'a plus rien à prouver : plus Amerloque que les Amerloques, campant parfaitement, et cette fois loin du cabotinage d'Inglourious Basterds, l'officier déterminé à bouffer du Boche, et dont l'expression de haine à la vue d'un SS est impressionnante et plus vraie que nature. J'aime ce personnage, malgré ce qu'on pourrait en dire du cliché éternel du héros se sacrifiant pour ses valeurs et l'idée du bien. Certains y verront une façon pour les US de camoufler leurs perpétuels intérêts militaires en idéaux auxquels personne ne croyait vraiment, mais c'est en voyant ce film que ce genre d'argument prend immédiatement l'eau. Que les États-Unis soient entrés en guerre pour défendre leur pomme en se contrefoutant d'Hitler jusqu'en 41 ? C'est un fait. Mais ce n'est plus l'important. L'important, c'est le ricain venu se faire trouer la panse sur les plages de Normandie, et jusqu'au fin fond des campagnes allemandes. Shia LaBeouf (dont je ne comprendrais jamais la haine qu'il suscite) fait lui aussi un putain de bon taff en incarnant un personnage bien loin de ses rôles habituels, tout en y insinuant une dose de sa folie douce, qui devait être monnaie courante en temps de guerre, et donc parfaitement appropriée. Jon Bernthal, désormais habitué aux rôles de brutes épaisses et de chiens fous porte fièrement le costume, parvenant toujours à toucher là où ça fait mal, là où ça dérange, et à transcender la simple apparence bestiale qui, pourtant, fonctionne à merveille. Je ne regretterais sans doute que la trop mince apparition de Scott Eastwood, presque réduite au caméo ainsi qu'un Logan Lerman au jeu encore bien trop fragilou, mais plutôt convaincant dans son costume de gamin apprenant vaille que vaille à quel point le monde a basculé dans l'absurde.
La photographie fait la part belle aux images grandioses, de l'introduction sublime aux plans aériens, en passant par des scènes de dévastation plus vraies que nature. Rien ne nous est épargné : ni les corps déchiquetés qui volent, ni les morceaux de visages et encore moins les cadavres écrasés par les chars. Pourtant, loin de faire du gore pour du gore, et comme l'a dit un certain Durendal - lui aussi conspué bien à tort, tiens -, Fury agit comme une foutue piqûre de rappel, un coup de massue qui vient nous rappeler que notre quotidien confortable s'avère bien loin de la boue, de la famine, et des femmes se donnant aux soldats pour un œuf ou un paquet de clopes.
La vision de cette Allemagne désespérée et glaçante, à l'image de son leader fou encore vivant, est aussi terrifiante que les attaques et combats fulgurants tout au long du film. Si en deux heures le corps tremble déjà en appréhendant les prochains tirs, difficile de ne pas se sentir solidaire des soldats probablement rendus à moitié dingues à force de bombardements et de détonations en tout genre. Le tout est saupoudré d'une BO de Steven Price absolument magistrale, tour à tour sobre et grandiose, et dont les chœurs masculins et féminins s'unissent comme autant de voix illustrant les millions de victimes de la Seconde Guerre mondiale. Civils, militaires, déportés ou résistants, là encore : peu importe. À la fin, il ne reste plus rien que les cadavres et les tripes, que les corps fatigués, les visages défigurés et les yeux hagards.
Loin de s'en tenir au film de guerre bourrin et décérébré à base de machines et d'hommes à peine moins mécaniques, Fury est un plaidoyer, un avertissement, et l'un des tableaux cinématographiques les plus tristement réalistes qu'il m'ait été donné de voir. Car comme un perpétuel écho et jeu de miroirs, difficile là encore de ne pas comparer la campagne allemande à la campagne française, nos paysages, pays voisins, si proches l'un de l'autre, et susceptibles de connaître exactement les mêmes horreurs.
Il est minuit.
Demain, c'est aujourd'hui.