Fury
6.7
Fury

Film de David Ayer (2014)

La tentation était trop grande...

La déception finale est à la hauteur de l'excellente première moitié de film. Malheureusement ce film est littéralement coupé en deux.


On commence par une retranscription de la guerre assez bluffante de réalisme. Contrairement à de nombreux films de guerre sur la Seconde Guerre Mondiale mettant en scène des soldats américains élevés au rang de chevaliers immaculés, hérauts du camp du bien, dans une guerre aux allures de chevauchée épique, on nous présente ici une guerre dans son expression la plus brutale. Rien ne nous est épargné, on se prend la réalité, aussi dure soit-elle, en pleine figure. Et le soldat américain n'est pas plus épargné par la dureté de la guerre. Il est sale, peu éduqué, brutal, amoché par des années de conflit, ce qu'il fait payer aux allemands, soldats et civils. Il n'a rien du libérateur dépeint dans certaines fresques hollywoodiennes. Et ceci est très plaisant, d'autant que le contexte est différent de bien d'autres films. On est en Allemagne à la fin de la guerre, les soldats sont à bout, désabusés, face à un ennemi qui résiste avec l'énergie du désespoir, envoyant des enfants soldats se sacrifier pour retarder l'inéluctable. On est bien loin de l'image du GI qui traverse l'Atlantique la fleur au fusil pour combattre pour la liberté, au point même qu'on a parfois l'impression que le film force le trait et tourne à l'inventaire des horreurs qu'on peut voir sur une zone de conflit.


Tout ceci est vu au travers du parcours d'un équipage un peu caricatural d'un Sherman, ce qui nous place au cœur de l'action, dans les entrailles du char, où l'on ressent la tension quand chaque coup tiré est peut-être le dernier. Les images marquent, les plans nous plaçant toujours au niveau des protagonistes (américains comme allemands), ce qui renforce l'immersion dans les combats. Quelques scènes de répit laissent le temps de voir l'envers du décor, lorsque les soldats ne se battent pas.
On suit alors le baptême du feu d'un jeune bleu qui se retrouve un peu par hasard au manettes d'une mitrailleuse dans le char et qui doit impérativement se mettre au tempo de ses camarades s'ils veulent tous espérer en sortir vivant. A ce stade, tout va bien, l'atmosphère est en place, elle a réussi à nous placer au niveau de ces soldats et à nous faire ressentir la fragilité de leur sort, tant ils sont constamment exposés malgré leur carapace d'acier.


Et puis patatra... il semble qu'il fallait bien rentabiliser la présence de Brad Pitt en tête d'affiche. Alors d'un coup, le voilà propulsé héros de guerre qui va s'improviser bouclier du camp du bien face au peloton SS fanatisé s'apprêtant à attaquer la ligne de ravitaillement des alliés. Le tout aux commandes d'un unique char immobilisé suite à l'explosion d'une mine. Bon... admettons. Peut-être pourront-ils les tenir à distance. Et bien non puisque mieux que ça, l'équipage les laisse avancer pour les affronter dans un quasi corps à corps suicidaire (histoire de griller leur dernier avantage face à l'ennemi). Et le pire c'est qu'ils vont y arriver. Ceci au mépris de tout réalisme qui avait pourtant fait la force du film jusque-là (bon ok le duel face au Tigre était déjà moyen). Il faut dire qu'ils sont plutôt bien aidés par des soldats allemands qui ont oublié les enseignements d'années de guerre pour se mettre à courir à découvert autour du char, et lui tirer dessus avec leurs armes automatiques (alors même que la colonne montrait des soldats panzerfaust à la main...). D'ailleurs, quand ils se décident enfin à employer les techniques d'infanterie et utiliser leurs armes antichar, bah... elles marchent moyen. Un panzerfaust atteint bien le char, mais ne tue qu'un membre de l'équipage (quand dans la réalité l'intérieur hermétique d'un char est transformé en charpie). Nous voilà repartis alors pour un tour de massacre à la mitrailleuse. Quand vient le temps de recharger, manque de bol, les munitions sont restées en dehors du char (quand même dommage quand on a bien préparé son coup en choisissant de se terrer à l’intérieur dudit char...), alors tout le monde sort gaiement à découvert pour retourner s'abriter (rappelons que le char est sensé être entouré de 300 SS) jusqu'à épuisement des dernières munitions. C'est alors parti pour un baroud d'honneur où notre héros Brad va sortir utiliser la mitrailleuse lourde à découvert sur son piédestal. Il finira bien par être abattu, mais ne mourra pas avant d'avoir glissé quelques mots au bleu qu'il aura porté jusque là. Il faudra 2 grenades dans le char pour définitivement l'achever, sans qu'étrangement son corps décidément bien résistant n'en porte la moindre marque.
Ce qui met fin au périple de l'équipage du Fury, et qui laisse en héros notre jeune bleu enfin converti à la cause de ses défunts camarades.
Alors effectivement la longue scène finale était épique et nerveuse. Mais ô combien frustrante de surenchère hollywoodienne quand le film avait si bien commencé. La tentation d'utiliser Brad Pitt en héros prêt au sacrifice était bien trop grande...
Loin d'être un mauvais film sur la Seconde Guerre Mondiale, cette fin laisse quand même ce sentiment de gâchis.

Eldgj
6
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le 25 oct. 2017

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Eldgjá

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