(article disponible sur PETTRI.COM)


À sa sortie en 2005, une phrase extraite d’une critique du magazine Première était placardée sur toutes les affiches françaises de Garden State : « On n’aime pas Garden State, on en tombe amoureux ». Et cette différenciation entre le ressenti et l’affect faite ici est toujours inconsciemment intéressante. C’est en effet plus que de simplement aimer une œuvre que d’en être amoureux, c’est développer une relation avec, en aimer les qualités mais aussi les défauts, de vouloir en savoir toujours plus, sur les coulisses ou sur les personnages. Et ce n’est probablement pas une donnée universelle, chaque spectateur ayant sa propre relation avec une œuvre, allant de la haine à l’amour donc, en passant par l’indifférence courtoise ou à la simple appréciation. Ce petit film indépendant écrit, réalisé et interprété par « cet acteur dans cette sitcom », tout droit sorti de l’usine Sundance alors en plein boom, est un succès d’estime, mais devient vite le film de toute une génération. Garden State est souvent montré comme un archétype du film Sundance de l’époque, comme le sera Little Miss Sunshine par exemple, et il n’est pas faux de le penser : tous les ingrédients sont là, le point de vue personnel, le ton doux-amer, la musique pop-folk, une économie de moyens… Mais le film n’est pas que ça.


Zach Braff, entre deux saisons de la sitcom Scrubs sur ABC, est en position de faire son premier film, une histoire autobiographique prenant pour sujet un jeune acteur juif vivant à Los Angeles, qui doit revenir dans sa ville natale pour y enterrer sa mère. Relativement simple donc, sauf qu’Andrew (Braff) doit y affronter à la fois son passé, ses démons, ses addictions, ses relations familiales et amicales, en plus d’une relation amoureuse naissante. Dans le film, Andrew est un acteur sans le sou, qui commence à doucement cachetonner, sans que le carton soit en vue, et est obligé de travailler dans un restaurant vietnamien, tout en étant visiblement accro à tout un tas d’antidépresseurs et de drogues cherchant à calmer des troubles mentaux. Quand sa mère meurt à l’autre bout du pays, il doit y retourner, passant de la verticalité urbaine et toujours surchargée de la côte Ouest, à la verticalité relative et plus calme de « l’état du Jardin ». À grand renfort de cadrages travaillés et de mouvements fluides, Braff met en scène une histoire clairement ultra-personnelle, sans pour autant mettre de côté le spectateur, bien au contraire, puisqu’autant de gens ont développé un affect si particulier avec ce film. Sûrement la faute à une bande-originale sans faux-pas, dotée de morceaux inoubliables de The Shins, de Frou Frou, de Coldplay, de Nick Drake, de Simon & Garfunkel, on en passe… Aussi, c’est sûrement grâce à un casting parfait venant traverser le parcours de Zach Braff, avec notamment Natalie Portman, Peter Sarsgaard, Ian Holm, mais aussi des seconds couteaux géniaux : Method Man, Jean Smart, Ann Dowd, Jim Parsons, Denis O’Hare, Ron Leibman, Geoffrey Arend...


Éclairé par Lawrence Sher (Joker, Godzilla : King of the Monsters), Garden State est visuellement splendide. Dans une douceur colorée, l’image de ce film indépendant fait la part belle aux beaux mouvements à la grue ou au steadycam, en plus que d’avoir constamment de belles idées visuelles, comme ce fameux plan où Andrew essaye une chemise totalement assortie à la tapisserie du mur derrière lui, ou plein d’accélérés et de ralentis jouant avec la perception du monde biaisée de son personnage principal. Pour un premier film, Garden State semble réellement maîtrisé, avec toutefois cette belle fragilité touchante et honnête, qui participe à sa réussite. Le film arrive également à survivre – mieux, à être magnifié – aux multiples visionnages, qui apporte toujours autant d’émotions et de compréhension au destin brisé d’un homme regagnant peu à peu la surface à mesure qu’il résout les failles de son passé troublé. La fragilité du personnage déteint sur le film, mais aussi sa beauté, sa renaissance, sa vibrance. Garden State est beau, plus que ça, en bon feel-good, il agit sur son spectateur comme les antidépresseurs qu’il porte à faux, sans les effets indésirables. S’élever, guérir, grandir, s’éduquer, évoluer par l’art, à la fois pour l’artiste et pour son public, c’est aussi une velléité artistique. Et ce film réussit son dessein, pourtant très introspectif, jusqu’à le rendre universel. Une prouesse. Voilà, Garden State est prodigieux. Et Braff réitérera 10 ans après, dans une moindre mesure, avec Wish I Was Here, un film très similaire mais sans toutefois la force de son galop d’essai…

JobanThe1st
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le 23 avr. 2020

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Jofrey La Rosa

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