Gemini Man
5.2
Gemini Man

Film de Ang Lee (2019)

Lorsque l'on demande à Ang Lee* les raisons de sa fascination pour les nouvelles technologies liées au cinéma numérique, celui-ci déclare tout simplement : "Depuis l'invention du format numérique, nous n'avons cherché qu'à imiter à tout prix le format de la pellicule car c'est tout ce que nous connaissons à l'heure actuelle." De cette réflexion pince-sans-rire découle en vérité la pensée profonde d'un auteur en perpétuelle recherche de nouveaux procédés filmiques, dont Gemini Man en est sûrement l'exemple le plus probant. Petit événement technologique à part entière, Gemini Man adopte le pari fou d'allier en son sein tous les procédés dernier-cri de la dernière décennie tel que la 3D, le HFR (High Frame Rate) et surtout, plus surprenant encore, le deaging. Et quoi de mieux qu'une production **Jerry Bruckeimer bien emballée et portée par un acteur star, Will Smith en l’occurrence, pour démontrer tout le potentiel de tels procédés ?


Après le coup d’épée dans l'eau que fût son précédent film Un Jour dans la Vie de Billy Lynn, la faute à une distribution ultra limitée, Gemini Man se révèle être un véritable vivier d'innovations techniques car non content de proposer ici une cadence affichée à 120 images/secondes, c'est également son concept en lui-même (ainsi que son exécution) qui relève de l'exploit, à savoir une confrontation sur un seul et même plan entre Will Smith et une version rajeunie de lui-même. Déjà monnaie courante chez Marvel Studios depuis la fin de leur Phase 2, le deaging n'était néanmoins pas le moteur central de leurs films et encore moins le cœur du propos général et c'est là tout l'intérêt que l'on peut porter à Gemini Man, qui prend le sujet à bras le corps, mais ne fait toutefois pas preuve d'une audace narrative à la hauteur de sa proposition visuelle.


Dans un effort de vouloir proposer son expérimentation technique au plus grand nombre, Ang Lee aura semblerait-il été contraint de se plier aux codes typiques des productions de Jerry Bruckeimer et c'est bien ce qui tire le film vers le bas et nous laisse au final avec un sentiment mitigé. Mitigé car si les scènes d'action bluffent par leur ingéniosité et leur nervosité et ce, majoritairement grâce à une utilisation ingénieuse du HFR retirant tout flou de mouvement au cadre et de la 3D proposant une profondeur tout simplement jamais vue auparavant, le film se perd bien trop souvent dans des tunnels de dialogues plus qu'anecdotiques et qui alourdissent un propos qui était bien loin d'en avoir besoin. Et quand bien même on peut avoir une certaine tendresse pour le charme typiquement années 90 déployé ici par les scénaristes, le tout manque d'une profondeur accrue, tout particulièrement lorsque le film se met à traiter de manière surprenante le sujet de la masculinité et notamment celle de son interprète principal, qui se retrouve littéralement face à son propre miroir déformant, comme un moyen de grossir les erreurs de sa carrière d'antan. Un propos méta et passionnant mais là encore, il ne s'agit que d'un sous-texte purement visuel que l'on ne doit qu'à l'implication sincère de Will Smith dans ce double-jeu ainsi qu'à l'impressionnante maîtrise du deaging opérée par les équipes du film et non d'un véritable propos retransmis par sa base narrative.


On pourrait toutefois longuement s'attarder sur la force de proposition découlant du film, qui derrière ses cheminements grandement prévisibles, fait néanmoins preuve d'une générosité extrêmement jouissive et d'un capital sympathie indéniable dans ses instants de grâce. Une affection que l'on doit en grand partie à la prestance redoutée mais finalement très convaincante de Will Smith, qui semble se servir de ce rôle comme d'un véritable exutoire personnel, mais également par le retour sur le devant de la scène de la sous-estimée Mary Elizabeth Winstead qui, après quelques années dans le cinéma indépendant, revient en tête d'affiche et affirme tout son potentiel badass que l'on pourra davantage juger dans le futur Birds of Prey. Si d'autres interprètes comme Clive Owen ou encore Benedict Wong semblent néanmoins ne pas vouloir sortir de leur zone de sur-jeu caricatural, la magie de Jerry Bruckeimer parvient de manière assez surprenante à en faire partie intégrante de ce qui ne restera finalement qu'une attraction de luxe dans les esprits.


Sans être non plus une déception, Gemini Man se révèle être une expérience cinématographique que l'on peut considérer comme à la fois révolutionnaire mais également terriblement sous-exploitée. Si l'alliance entre 3D, HFR et deaging impressionne comme espéré, plus particulièrement au cours de scènes d'actions à la maîtrise technique à couper le souffle et clairement en avance sur leur temps, le fond de l'ensemble est quant à lui bien trop faible pour justifier pleinement les vingt euros que vous coûtera la place de cinéma pour être en mesure de profiter du film dans les meilleures conditions possibles. Le HFR a de quoi changer le cinéma, c'est une garantie, mais il falloir que les studios lui accordent nettement plus d'ambition s'ils tiennent à ce que le procédé devienne un véritable nouveau vivier créatif et non pas un simple gadget tout droit sorti du Futuroscope.


[Critique originellement publiée sur D'un Ecran à l'Autre]

TanguyRenault
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le 10 oct. 2019

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Tanguy Renault

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