J'ai mis un an. Un an avant d'oser regarder Ghost in the Shell.
Pourtant, on ne peut pas dire que j'avais des attentes démesurées.
Je ne suis pas un fan de Shirow à la base, auteur du manga version papier, plus connu pour Appleseed, qui a débarqué chez nous en même temps qu'Akira de Katsuhiro Otomo -pur génie bien trop peu prolifique à mon goût-, dans la collection hors de prix de Glenat.
Pour Oshii, c'est plus compliqué. Je suis plus proche de ses dérives métaphysico-poétiques, mais on ne peut pas dire que je sois fan non plus. Je lui reconnais sans problème un certain génie onirique un propos souvent profond mais qui a tendance à s'égarer dans les replis de réflexions métaphysiques, ce qui donne un rythme particulier à ses oeuvres, qui oscille entre maladresse et génie, suivant les oeuvres et surtout les sensibilités du spectateur.
L'homme a un propos artistique, indéniablement.
Bref, j'aime Ghost in the Shell de Oshii, mais mon amour modéré pour le cyberpunk fait que je ne suis pas le public cible pour cette oeuvre portée aux nues par la plupart des amateurs de ma génération.
C'est probablement cette distance qui m'a permis d'aborder le film sans a priori.
Et le film tombe le masque dès le début, de façon assez violente, illustration parfaite de ce que j'appelle le "reverse Scoobidoo effect".
Après un préambule écrit résumant sommairement la situation, on assiste à la fabrication du Major, de belles images, certaines transposées avec déférence directement de l'anime, on sent clairement l'amour du réalisateur pour le long métrage de Oshii.
Puis arrive l'éveil du Major et la première discussion avec Juliette Binoche. Et en quelques secondes, toute l'ambiguité du titre tombe à la façon d'un masque à la fin d'un épisode de Scoobidoo. On insiste fort sur le fait que le Shell du titre soit le corps artificiel du major, et que le Ghost représente l'âme, la personnalité, l'essence.
Exit les doubles sens, les finesses quant à la beauté poétique du titre. BLAM! On jette ça à la tête du spectateur.
Et on a donc le choix : soit on pleure et on retourne mater les longs metrages d'Oshii, soit on aborde le film comme une adaptation pour les simples d'esprit de Ghost in the Shell et on salue les belles transpositions de scènes et crache sur les échecs cuisants -comme la scène de combat sur l'eau, et les effets de gravité loupés où Scarlett Johansonn se meut et saute tel un Hulk pataud et mal géré... ces scènes sont rares, mais elles contrastent avec les nombreuses scènes réussie du film-.
Ou bien on choisit l'approche vierge, autant que faire se peut. C'est encore l'option qui s'avère la plus satisfaisante et la moins risquée.
Pourtant, c'est une attitude difficile à tenir, tant le film est fait par un fan du long métrage animé. Il est facile de réduire le film à un hommage trop fidèle dans la forme -donnant lieu à nombre de scènes tout bonnement magnifiques, admettons-le! (malgré les réticences évoquées ci-dessus)- et trop pataud dans le fond.
Dès le générique, on a une musique qui tourne autour du pot, se refusant à reprendre le célébrissime et magnifique thème principal de l'anime -il faudra attendre le générique de fin pour entendre enfin ce morceau mythique de Kenji Kawai-, comme si déjà avant les premières images, l'envie de reprendre à l'identique l'anime était là, mais que le réalisateur tentait de se retenir.
Oui, dès le générique et le premier dialogue, tous est là, le film ne surprendra pas, on sait exactement où l'on met les pieds.
Le premier raid du Major confirmera cette impression : une forme frôlant la perfection -malgré, toujours, ces sauts loupés qui vraiment sorti ponctuellement de la scène-, mais une intrigue un peu plate.
Car c'est tout le problème : si l'on retire de Ghost in the Shell tout le questionnement métaphysique sur l'essence de l'être, l'implication éthique des modifications corporelles, le questionnement sur l'intégrité du corps, la valeur des souvenir en relation à l'identité, l'exploration en profondeur sauce cyberpunk du paradoxe du Bateau de Thésée -si on replace bateau, planche par planche, est-il toujours le même bateau, en gros-, bref, si l'on retire tout ça, il ne reste qu'une histoire pas bien originale de vengeance par un méchant cruel qui tue tous les membres d'une corporation gentille, qui s'avère être finalement une méchante grosse corporation qui manque d'éthique, un retournement de situation assez bateau, une conclusion téléphonée.
Bref, Ghost in the Shell, le film, tue le mythe de Ghost in the Shell, l'anime.
Pourtant, impossible de nier le bon moment passé en regardant ce film caviardé de scènes épiques, d'idées visuelles magistrales, de transpositions de scènes magnifiant celles de l'anime. Impossible de ne pas saluer la justesse du casting, qui avait pourtant fait grincer des dents -le ridicule argument du whitewashing dans un film se déroulant dans un univers clairement post-nation, qui questionne les frontières de l'identité du corps, ça fait doucement rigoler, quand même!-, la belle performance de Scarlett Johansonn, parfaite dans son rôle.
Trop de bonnes choses pour faire la fine bouche.
Le problème, c'est qu'une fois le film terminé, le générique de fin lancé, avec le morceau iconique susmentionné, les souvenirs d'Oshii et de Shirow reviennent. Et on se souvient.
Le charme tombe et on repasse mentalement ces fragments de scènes loupés puant la cinématique de jeu vidéo loupée, on se souvient de la scène du duel sur l'eau échec cuisant s'il en est. (Je sais, je rabache, mais j'avais oublié de le mentionner à la première mouture de cette critique, et je me suis fait remonter les bretelles par un ami de bon goût, donc je tue toute ambiguité quant à ma relation à ces scènes douloureuses pour la rétine!).
Mais surtout, on réalise le vide abyssal de l'intrigue dépouillée de sa profondeur, de son charme poétique.
Et c'est une sorte de justice poétique qui opère : le film incarne au final parfaitement les questionnements de l'oeuvre originelle, sorte de belle coquille vide et sans âme.
Il y a bien un Ghost in the Shell, littéralement, une enveloppe de chair sans âme, hantée par les émanations, le fantôme de l'oeuvre dont elle est tirée.