Ouverture aux nouveaux

Vous vous attendiez à quoi ? On parle d'un remake américain, qui plus est à destination d'un public qui n'a pas vu le Ghost in the Shell original. Donc il n'était pas question d'espérer un discours philosophique sur la nature humaine. C'est un film hollywoodien, c'est fait pour un public large qui ne se rend pas au cinéma pour se sentir perdu. Cela frustre les autres, mais ils n'ont pas le droit de jouer les déçus. Le programme est clair, si cela ne vous satisfait pas vous aurez l’œuvre originale qui existera toujours même après 50 remakes.

Parlons maintenant de la version de Rupert Sanders. Ce qui me gêne beaucoup c'est quand son film reproduit à l'identique une scène de l'original, mais en moins bien. Au lieu de me dire "Tiens, c'est stylé", je ne vois que la régression. Le plus flagrant est le montage qui est trop rapide pendant les scènes contemplatives comme l'intro, on n'a pas le temps de profiter des plans pourtant magnifiques. La fin perd aussi énormément en force car elle nous rappelle que c'était mieux avant. Cela montre bien que ce film est voulu pour faire découvrir la version de Mamoru Oshii, mais ce procédé impose d'autant plus une comparaison qui n'est pas flatteuse, alors que l'histoire s'éloigne suffisamment du manga pour s'autoriser un changement plus radical. Enfin, le scénario souffre d'une banalité déplorable pour quiconque a déjà vu des histoires de vilaines sociétés qui manipulent des gens pour en faire des outils. C'est du Robocop, sans valeur ajoutée. C'est dépassé, alors que le postulat autorise des choses bien plus stimulantes sans perdre le public pour autant.

En revanche c'est beau, et c'est sur ce point que j'attendais le film donc je ne suis pas déçu. La caméra flotte au dessus d'une ville de néons et d'hologrammes, ce n'est pas original mais ça fait son effet sur moi. La réalisation est apaisante et c'est exactement ce que je cherchais. Les scènes d'action usent souvent du ralenti mais cela ne m'a pas écœuré, il y a la recherche du beau plan. Il y a juste une bagarre un peu expérimentale qui était illisible et une luminosité globale faible. Et surtout j'ai constaté que l'exercice de vulgarisation du film de Mamoru Oshii était réussi. Je suis allé au ciné avec une amie qui ne connaissait rien de Ghost in the Shell, elle m'a dit que ça avait réveillé la scientifique qui sommeillait en elle. Toutes les pistes qu'ouvre un tel sujet lui sont apparues et ça lui a donné envie de voir l'original. Rien que pour ça, ce remake ne méritait-il pas d'exister ? Je n'ai pas eu la même stimulation qu'elle parce que le film ne m'apprenait rien, mais je trouve que c'est une bonne vulgarisation d'un film d'animation loin d'être accessible à tous. Et mine de rien, ses considérations intellectuelles ne sont pas complètement absentes, bien que très amoindries. Je pense à la question de la sécurité informatique illusoire, basée sur la vaine demande systématique d'autorisation.

Je reviens sur le whitewashing. Tant que les personnages ont la couleur de peau qu'ils sont censés avoir, peu importe pour moi que l'héroïne ait un physique d'américaine s'il y a une raison scénaristique, même forcée. La société Hanka est visiblement américaine et donc peuplée de blancs, soit. Le Major a reçu un corps de cette société, donc c'est un corps blanc. Soit. Mais quand même, j'ai bien du mal à me sentir au Japon. On a une poignée de personnages japonais et des figurants asiatiques, mais j'ai des potes qui n'étaient même pas sûrs que le film se passait au Japon. Ça fout toujours un coup à l'immersion, comme on colle aux basques des deux mêmes personnages blancs il m'est arrivé par moments de me dire "Eh mais au fait, c'est vrai que les personnages sont supposés être japonais !". Je ne vais pas prétendre que cela m'a gâché le film, mais ce serait bien que Hollywood se montre moins timide à ce sujet un jour, au moins avant la sortie du prochain remake de Mulan parce que si là l'héroïne n'est pas chinoise ça va vraiment pas le faire. Et pour ceux qui se réjouissent de l'échec commercial du film, sachez que cela ne va pas le moins du monde dissuader Hollywood de faire des remakes ou du whitewashing car le public américain se fiche de ces éléments : ça va juste les dissuader de faire du cyberpunk atmosphérique, en dehors du prochain Blade Runner. Il n'y a pas de quoi se réjouir, et j'aurai pourtant apprécié de voir un nouvel opus qui développe un peu mieux son univers.

Ce Ghost in the Shell n'est probablement pas intéressant pour ceux qui sont tombés amoureux du film original, et ce n'est pas son but. C'est un cheval de Troie pour initier le public occidental à un film qui peut se révéler prise de tête pour beaucoup de gens, dont moi (surtout la suite avec ses citations philosophiques indigestes). C'est vraiment bête qu'il colle autant à l'original au lieu de s'en affranchir complètement, son scénario est inintéressant au possible et son montage est encore un poil trop rapide pour faire planer. Mais pourtant il se pose dans le paysage du blockbuster quasiment comme une anomalie. Pas pour son script cliché des productions américaines, mais pour son envie d'offrir un modeste trip un peu lancinant. C'était quand le dernier Marvel où vous vous êtes dit "Tiens, c'est joli comme réalisation" sans que ce soit en commentaire d'un money shot ?