On s'amusera encore longtemps de la traduction littérale du titre pour faire référence au vide manifeste qui parcourt, de long en large cette transposition américaine d'un univers tentaculaire venu du Japon, articulé autour de son héroïne Major Motoko Kusanagi. Pour le dire simplement, autant sur la forme que sur le contenu, ce reboot sonne harmonieusement creux.


Si on peut reconnaître volontiers quelques trouvailles visuelles comme ces grands corps holographiques qui dominent le paysage urbain dans une surcharge porno-publicitaire (trouvaille reprise depuis dans le chouette Blade Runner 2049), on lui reprochera en revanche tout le reste : l'action y est molle du genou, les personnages sentent les stéréotypes hollywoodiens ; quant au scénario, on ne parle même plus de ficelle à ce niveau mais des cordages d'une frégate, tant le récit semble se mouler pour correspondre aux canons commerciaux du blockbuster sillonnant les mers du monde… Ce remake s'apparenterait à une "trahison" si on se contentait de le lire comme une "adaptation" — pas besoin de rentrer plus en détail.


Tentons pourtant d'aller plus loin. Ne nous arrêtons pas aux circonstances particulières de production, ni aux accusations de "whitewashing" et encore moins au "non-respect" envers l'œuvre originale. Là dessus, tout le monde sera d'accord : Hollywood est capable du meilleur comme du pire. Essayons plutôt de saisir la manière dont le film parlerait de lui-même, intéressons nous au ghost logé dans cette coquille vide, quitte à retrouver ces éléments en filigrane.


Encore faut-il repérer une scène-clé qui ouvre à une interprétation allant dans ce sens : ici, je voudrais prendre celle des "retrouvailles" entre Mira et la maman de Motoko. On ne peut que trébucher sur cette référence directe à l'héroïne originale (et à son univers impitoyable) qui met tout le film en perspective. Dans cette scène, on est saisi par toute la vacuité de l'héroïne-coquille Mira, interprétée par Johansson : toute l'histoire du remake se résumerait donc en la transmigration forcée de l'âme d'un corps organique d'une japonaise (l'homonyme au personnage nippon) dans les rouages d'un corps mécanique d'une américaine (Scarlett J. avec son visage inexpressif). Transmigration forcée sans véritable raison explicite, sinon celle de produire des prototypes dans le but d'élaborer une "arme", pour reprendre le terme du méchant (producteur hollywoodien) de l'histoire. Ainsi va la vie du blockbusting hollywoodien : produire des armes cinématographiques (souvenons nous de l'origine militaire du terme "blockbuster") capable de vider les quartiers. Son contenu diégétique se résume alors à la sempiternelle question du "quisuisje" pour Mira, réduite ici à peau de chagrin — c'est-à-dire une simple reconquête d'identité sur une amnésie. À l'Ouest, décidément, toujours rien de nouveau...


Partant de ce désaveu, le film se donne comme le constat décomplexé d'un héritage impossible de l’univers original, une fois celui-ci passé par la moulinette d'un formatage étasunien. Héritage impossible : comment hériter en effet de ce qui n'est pas "mort" ? A quoi bon un remake quand tout l’univers de GitS se suffit déjà à lui-même ? Sans parler des mangas, il vit autant dans les films d’Oshii que dans les deux saisons de l’animé Stand Alone Complex (dont la saison 2 est remarquable à plus d’un titre). Dans ce reboot inutile, le corps de Johannson nous apparaît davantage comme un avorton sans relief de la Major Motoko originale dont il dérive. À condition de ne pas être nous-même amnésique de la richesse et de la profondeur de l'univers GitS qui se veut aujourd'hui encore extrêmement pertinent. On se souviendra donc qu'il n'y a pas de mort à ressusciter, donc ni de deuil, ni d'héritage à gérer — c'est cela qui confère au film sa vacuité digne de la profanation d'une sépulture vide.


Outre l'invitation à découvrir l'univers originale si cela n'est pas encore fait, on pourrait alors se risquer à lire cette transposition ratée comme une mise en scène de la logique de production du film lui-même. Incapable de prendre en charge une autre culture sans cette pulsion irrévérencieuse d'y injecter ad nauseam ses propres obsessions, celle-ci vire dans l'absurde comique. De sorte que finir sur le risible "nous ne sommes pas définis pas nos souvenirs, mais par nos actes", c'est se faire l’écho abruti d’une moraline caractéristique de la bonne conscience du self-made-(wo)man. "Avançons ! avançons ! Oublions ces souvenirs inutiles, et faisons table rase de ces autres horizons" proclame ainsi fièrement un tel remake hollywoodien : table rase certes, mais au raz des pâquerettes...


Pour conclure, peut-être faudrait-il avoir un peu de pitié pour ce film, dont ses thématiques stéréotypées et sa mise en scène formatée ont toutes les chances de mal vieillir. Je préfère encore en rire : il a tout le potentiel pour devenir un nanar'. Mais il semble dire bien plus que cela, sa pertinence reste justement son actualité — la notre. Il faut alors tenter de faire l’effort de passer outre l'apparence d'une vulgaire faute de frappe venue du pays de Coca-Cola, pour tenter de voir le ridicule d'un tel film comme l'énième reflet d'un miroir que l'industrie se tend à elle-même, mettant ainsi en éclat toute l'errance anxieuse des majors hollywoodiens derrière leurs stratégies pourtant si bien huilées.
Quitte a enfoncer des portes ouvertes... tant qu'il y aura des salles à remplir.

jscholla
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le 21 déc. 2019

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