Ghost in the Shell
7.7
Ghost in the Shell

Long-métrage d'animation de Mamoru Oshii (1995)

Avant d’être sublimé sur grand écran par OSHII Mamoru, Ghost in the Shell est l’œuvre de l’auteur SHIROW Masamune, qui a posé les bases esthétiques et contextuelles que l’on retrouve encore aujourd’hui dans la franchise, jusque dans le métrage proposé par Rupert SANDERS en 2017. Avec son manga, SHIROW Masamune a créé un univers futuriste cyberpunk unique et proposé un récit teinté d’action évoquant des considérations politiques propres à la science-fiction avec une pointe d’humour et de sarcasme qui lorgne vers la caricature du monde contemporain de l’époque, alors en pleine élaboration d’un nouvel ordre mondial.


En s’emparant de Ghost in the Shell, OSHII Mamoru y insuffle ses propres thématiques et s’éloigne du schéma de SHIROW. Le sarcasme de l’auteur du manga disparaît et le réalisateur signe un film froid et complexe qui – bien qu’indéniablement marqué de la patte auteuriste d’OSHII – deviendra au fil des années le matériau de référence de tout projet lié à Ghost in the Shell, au point d’en éclipser parfois l’œuvre originale.


Avec son Ghost in the Shell, OSHII Mamoru a donné toute son essence au mot “adaptation”. Loin de reprendre simplement l’œuvre originale de SHIROW, celle-ci s’est avérée être le terreau fertile permettant de laisser libre cours aux problématiques chères au réalisateur.


OSHII Mamoru est un intellectuel qui s’est notamment engagé pendant ses années universitaires dans les révoltes étudiantes des années 70. Évoquant souvent La Jetée (1962) comme un de ses films de références, OSHII partage avec Chris MARKER son goût pour les questionnements existentialistes. On retrouve ainsi ponctuant son œuvre nombre de tableaux politiques sombres laissant exprimer ses positions antifascistes ainsi qu’une approche philosophique qui contribue notamment à faire de son Ghost in the Shell un film radical et marqué par son réalisateur.


Le film Ghost in the Shell est sorti en 1995, l’imaginaire collectif lié à la robotisation devient alors un sujet de société et Internet – “réseau […] vaste et infini” – fait ses premiers pas. Ce qui avait été imaginé par William GIBSON et d’autres auteurs de science-fiction dans les décennies précédentes était en passe de devenir une réalité et soulevait nombre de questionnements politiques et juridiques, mais également philosophiques.


Dans cette société robotisée où les machines ont un ghost – concept que l’on pourrait relier à l’âme ou à un subconscient jungien quasi-mystique – OSHII questionne l’identité, comme le faisait Philip K. DICK quand il se demandait si les androïdes rêvaient de moutons électriques. Pour OSHII Mamoru, l’intrigue policière et le récit ne sont que des prétextes à l’introspection et les scènes contemplatives servent davantage le film que les rares moments d’actions. Opposant le cogito au personnage manufacturé du Major, le réalisateur interroge la pensée cartésienne mise à mal par une vallée de l’étrange qui ne serait ici pas physique mais existentielle. Qu’est-ce qui est humain et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Si le Major existe et a bel et bien des souvenirs et des émotions, elle est également un produit de série qui n’a pas d’individualité. Les sacrifices physiques du personnage ne sont pas héroïques et ne sont menés que par une psyché enfermée dans un corps jetable, réparable ou remplaçable.


Si le Ghost in the Shell de OSHII Mamoru ne répond pas à ces questions existentielles, il ouvre à d’autres réflexions en évoquant des thématiques transhumanistes. Dans Ghost in the Shell, le corps est une limite de l’esprit et la crise identitaire éprouvée par le personnage du Major ne se résout que par un déni du corps encouragé par un alter ego qui – ne connaissant pas l’entrave physique – acquiert un statut quasi-divin.


Plus de vingt ans après la sortie du film, les situations évoquées par OSHII Mamoru sont encore de la science-fiction, mais le développement rapide de l’Internet mondialisé et la robotisation de la société nous mèneront tôt ou tard à ces questionnements identitaires, et il ne fait nul doute que l’œuvre de OSHII Mamoru constituera un matériau de référence pour les théoriciens de cette époque à venir.


Retrouvez cette critique sur Journal du Japon

mxmxm
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Sur l'étagère [Films], Les meilleurs films japonais, Les films vus en 2017, Les films aux meilleures bandes originales et Les meilleures ouvertures de films

Créée

le 15 sept. 2020

Critique lue 92 fois

2 j'aime

5 commentaires

mxmxm

Écrit par

Critique lue 92 fois

2
5

D'autres avis sur Ghost in the Shell

Ghost in the Shell
Sergent_Pepper
9

Science, surveillance et ruines de l’âme.

Le drame des films futuristes réside dans leur condamnation à s’inscrire dans le passé : ainsi d’un temps à venir qui finira par advenir, qu’il s’agisse du Metropolis de Lang, du LA de Blade Runner...

le 29 mars 2017

136 j'aime

10

Ghost in the Shell
Gothic
9

Tears in Rain

Ghost in the Shell, un titre qui claque, et qui revient souvent au moment d'évoquer les meilleurs films d'animation futuristes, voire les meilleurs films d'animation tout court. Doté d'une qualité...

le 1 juil. 2015

124 j'aime

24

Ghost in the Shell
Hypérion
7

Les cyborgs rêvent-ils d'IA triomphant du test Voigt-Kampff ?

Regarder un film mythique sur le tard, c'est toujours prendre le risque d'être un peu déçu. Ghost in the Shell n'échappe pas à la règle. Anime de qualité malgré l'âge (bien qu'à mon sens, Miyazaki a...

le 25 avr. 2012

106 j'aime

38

Du même critique

Tokyo décadence
mxmxm
8

Errances sexuelles d’une ville sans espoir

Si Ryū MURAKAMI est davantage reconnu comme auteur qu’en tant que cinéaste – certains iront même jusqu’à dire qu’il vaut mieux ne pas trop le considérer comme un réalisateur tant ses films sont...

le 31 juil. 2016

7 j'aime

4

Antiporno
mxmxm
6

Critique de Antiporno par mxmxm

En confiant la réalisation d’un des films du projet de reboot du roman porno au réalisateur Sion SONO, il fallait s’attendre à ce que le produit fini ne soit pas – au mieux – qu’une pâle copie des...

le 4 nov. 2016

6 j'aime

6

Les Délices de Tokyo
mxmxm
6

Critique de Les Délices de Tokyo par mxmxm

Un an après le triomphe critique de Still The Water, Naomi KAWASE est de retour au Festival de Cannes avec son nouveau film : An. An évolue dans la lignée de Still The Water et s’éloigne encore un...

le 15 juin 2015

6 j'aime