Innocence : Ghost in the Shell 2
7.2
Innocence : Ghost in the Shell 2

Long-métrage d'animation de Mamoru Oshii (2004)

Innocence est le film de Mamoru Oshii le plus simple à comprendre.

Comment ça non?

Si, si. C'est le seul film que vous pouvez regarder et comprendre sans les dialogues.

Tous les messages passent par l'image.

Résumons.
Batou est toujours à la section 9, enquête toujours sur les affaires politiques pas clair, intervient souvent de manière musclée. Il se languit de Motoko, disparue depuis quelques années. Mais une affaire peu commune le rapproche des interrogations du Major, le questionne sur sa propre existence... et fait resurgir sa belle dans sa vie.

•••••

Côté histoire, comparé au premier Ghost..., on est gagnant. L'intrigue est plus simple et linéaire. Elle est en revanche plus violente, en nous proposant des images réellement gore, comme les lieux du meutre de l'inspecteur de Locus Solus. En écrivant son scénario, Mamoru Oshii choisit de nous épargner une intrigue politique tortueuse qui, aussi bien écrite et ficelée soit-elle dans Ghost premier du nom, nous éloignait de sa véritable thématique (soit les interrogations du Major sur sa vie et son existence): qu'est ce que l'Humanité (on n'est pas passé loin de la grande question: "qu'est-ce que l'univers"). Il nous présentait les grandes interrogations du major et la réalisation était très introspective, féminine (dans le sens ou la transfiguration se faisait dans la réflexion plutôt que dans l'action) et distante pour montrer cette forme de détachement qui caractérisait Motoko Kusanagi. De même, pour ne pas dérouter démesurément son spectateur, Oshii reprend la structure du script de GITS 1, en mode "suite remake" comme en témoigne le générique de chacun des 2 Ghost In The Shell: Making of cyborg.

Pourtant, Innocence est très différent de Ghost in the Shell : l'histoire est plus simple, les personnages nous expliquent clairement les enjeux (pas le cas de Ghost...) et que le personnage principal est désormais Batou, un homme et que sa réflexion passe souvent par l'action. Le film n'en n'est pas moins thématiquement riche.

Dès le départ, Oshii laisse tomber la froideur du premier opus pour une implication humaine toute autre, pour une introspection plus démonstrative, les pérégrinations de Batou ne se basant pas sur de longs discours philosophiques, mais sur de l'action. Batou ne parle pas, il agit. Fini la SF Hight Tech froide et aux couleurs chirurgicales, bienvenue dans le polar américain des années 30 sauce Oshii: les voitures semblent sorties de LA Confidencial ou autres films noirs avec des détectives, les couleurs tirent sur l'ambre et le sépia (des restes de Avalon), la plupart de l'action de déroule dans la pénombre, l'action est franchement plus hardbloied et l'intrigue ne prend plus place dans les hautes sphères étatiques mais dans le milieu du business et des grosses entreprises. Personnage victime de ce choix, Aramaki qui disparaît pratiquement du film alors qu'il constituait un repère politique dans Ghost in the Shell.
Mamoru Oshii construit son film sur une grammaire cinéma extrêmement riches et cultivée, empruntant aux codes de la SF Cyberpunk et surtout du polar, tout le gavant de citation littéraires et d'auto-citations digérées et ré-intégrées avec une très grande maestria.

Pour appréhender le film, 4 axes :
• l'humain et son inhumanité
• Le simulacre et le pantin: élément humain
• la "référence humaine" dans Innocence: le chien
• "l'enfant" dans Innocence

• L'humain est inhumain

Nous aborderons ici comment Oshii démontre l'inhumanité de l'humain et non pourquoi l'humain tend à se déshumaniser (ce sera pour un prochain film: Avalon ou Jin Roh).
Le film commence avec le suicide d'une gynoïde. C'est un acte humain au possible que celui de mettre fin à ses jours et il est commis par un robot. Entendons par là qu'il n'y a aucune cellules humaines dans ce corps, ni même un ghost (le nom de l'âme dans Ghost in the Shell), juste un programme de fonctionnement. A l'opposé, on a le cyborg de service, Batou, qui lui explose la tronche sans remord, alors que lui a un ghost, un cerveau et est donc humain. On a une situation complètement inverse à ce qui devrait être la réalité.

La gynoïde est une geisha cybernétique de luxe et vient de décapiter 2 personnes. Elle semble hors de contrôle.
Batou, à travers son regard de robot, autopsie les corps et comme un terminator, évalue son adversaire par rapport aux traces laissées. La gynoïde fait penser à une marionnette avec ses mouvements mécaniques. Batou la maîtrise sans mal. Se produit alors un événement anormal: la Geïsha lui demande de l'aide, s'arrache la peau et expose toutes ses "viscères" comme un mal être trop lourd à porter, se défigurant irrémédiablement. Le pantin si lisse et inexpressif devient un amas de chair électronique. Cette mutilation, tentative de souffrir, est abrégée par Batou de 3 balles de chevrotines.
Passée cette introduction puissante, Oshii nous place son générique remake "making of cyborg" sur la fabrication d'une gynoïde désarticulée, dont les membres son retenus par des files qui anime cet être et nous confirme que le film traitera bien de ces marionnettes (dans le premier opus, c'était le major qui naissait ou renaissait dans une séquence de venue culte). Oshii continue sur sa lancé avec une bordée d'image explicite : création d'un cyborg dans l'eau (liquide amniotique), qui au moment de sortir de l'eau se contemple, s'embrasse comme il "embrasse la vie" (nous verrons plus loin que les gynoïdes sont plus humaines et vivantes que les humains eux même dans Innocence). Le tout finissant sur un plan d'un œil (le miroir de l'âme) qui s'ouvre, complètement désorienté par cette vie qui semble l'animer. Cette séquence monte crescendo avec la musique de Kenji Kawai dans une forme olympique, qui nous fait une partition référentielle mais plus marquée par la personnalité de son protagoniste (Batou). Autrement dit, une partition masculine: un rythme plus rapide, percutions à l'appuie. Cette musique puissante et profonde appuie le tumulte qui doit occuper l'esprit de la gynoïde nouvellement née. Puissamment sexué et émotionnel...

Très vite, on comprend que Innocence va nous proposer une réflexion sur l'humanité comme le premier opus. Mais d'une autre manière, car Oshii se sent de moins en moins proche de l'humain.Il n'en met qu'un seul humain dans son film et encore, il a le cerveau boosté, c'est Togusa. Les autres humain qui en ont le plus l'apparence sont les Yakusas, qui ont tous un implant ou un élément cybernétique sur eux: un œil, une main... et le plus moche est celui qui a un bras ciseau, n'a plus d'yeux et a une espèce de mord dans la bouche, comme si le faculté de parler n'était plus indispensable. D'ailleurs, il gémit ou rugit, c'est selon, et privilégie la force brut, au lieu de la réflexion (il se fait zigouillé très connement!). Les yakusas sont d'ailleurs coupable d'un crime gore du plus bel effet: un pauvre monsieur se fait éviscérer comme un animal. Un crime violent qu'un humain normal ne perpétrerait pas comme ça.
Globalement, l'humain se déshumanise en ressemblant de moins en moins à son modèle originel, en recherchant une autre perfection cybernétique.
Il y a finalement peu de chose à dire sur eux, tant ils sont plat, ces humains.
Oshii va dons être plus loquace sur la véritable humanité de Innocence: les pantins.

• le pantin: élément humain

Il n'y a pas d'humain à 100% dans Innocence.
Oshii entreprend alors un raisonnement par l'absurde : qui est plus humain que l'humain ?

Tout simplement ceux à qui (à quoi ?) l'humain a transmis son humanité : les simulacres (pour reprendre un terme cher à Matrix, à qui Mamoru fait d'ailleurs une référence).
Et ils sont nombreux.
Les gynoïdes pour commencer : lors de la première scène primo, puis lors de l'autopsie où Batou se voit reprocher (par un cyborg femelle qui refuse d'être caractérisé comme tel) d'avoir sauvagement abattu une marionnette qui ne voulait pourtant pas vivre : lorsqu'elle demande de l'aide à Batou, c'est pour mourir. L'humanité semble être un fardeau dont se serait bien affranchit le robot, mais il ne semble pas être seul : de nombreux dysfonctionnement de gynoïde ont lieu et demande qu'on s'y attarde. L'humanité vérole donc tout ce qu'elle touche en lui transmettant tous ses défauts. Les gynoïdes prennent vie à la fin du film et s'exprime en assassinant les soldats de services : ces poupées à but sexuel s'en vont en tenu d'Ève exprimer leur humanité. Il faut remarquer que c'est dans la mort que la véritable nature des choses est dévoilé : lorsque Batou leur tire dessus, elles volent en morceau, révélant qu'elles ne sont que des coquilles, des simulacres.
L'oiseau mécanique entre l'avion et l'animal qui emmène Batou et Togusa vers la vieille ville au milieu des mouettes est aussi un simulacre impressionnant : cet appareil déploie ses ailes, les bougent, atterrit avec douceur sur un cathédrale autour de laquelle on trouve vitraux et statuts en tout genre (des simulacres, encore). Une imitation d'oiseau, mais plus pataude, manquant de grâce.
LA scène des "simulacres" : le défilé dans la vieille ville. Bon, je ne vais pas m'éterniser : il s'agit d'un résumé de Oshii à propos l'humain.
La foule admire des simulacres, des "faux vivants", des représentations, des personnification. Alors que le film baigne dans une lumière très monochromatique, ce défilé est un festival de couleurs et chaque créations est plus expressive que n'importe quel humain. Sur un autre forum, un internaute avait critiqué son utilité car cette scène ne faisait pas avancer la narration. C'est vrai, mais elle renforce la thématique du film avec une telle justesse que sa place est totalement justifiée (en plus de se référer à cette scène glaciale ou Motoko évoluait dans la ville). La beauté des marionnettes est telle que dans notre joie de voir du vivant, Oshii nous envoie un plan complètement Hors Sujet : une caméra virevoltant autour d'un feu tricolore !! Il prouve par là même que l'homme nombriliste ne sait plus que contempler l'inanimé, le "sans vie". Et pendant que nous nous émerveillons de ce plan hors zone et qui finalement n'a de particulièrement interessant, Oshii nous prend au piège de notre émerveillement.

• la "référence" dans Innocence: le chien

Mamoru Oshii parsème son film de référence en tout genre. Et sa référence principale est son propre chien : un basset artésien du nom de Gabriel. Ni plus ni moins que le chien de Batou dans Innocence. Ce chien vous a forcément fait sourire et rire par son expressivité, son naturel. Le chien chez Oshii et pas seulement dans Innocence, est la référence humaine, il indique où est la vie. Faîtes bien attention au basset artésien dans tous les films de Oshii, il vous indique toujours la voie. Et pour le coup, à chaque fois que l'on en voit un dans Innocence, il regarde dans la direction opposée des hommes. Comme quoi l'homme semble tourné dans la mauvaise direction ? Encore une fois, c'est surtout lors de la parade que ceci revêt une importance, car le chien regarde aussi Batou et Togusa.

• L'enfant dans Innocence

Dès le début, dans la maison du pauvre yakusa, Batou découvre la photo d'un petite fille. Par cette exposition, qui suit une discussion très provocante sur la petite fille de Togusa durant l'autopsie de la gynoïde, l'auteur démontre que l'enfant est à la base de la perversion humaine. L'enfant n'a pas réellement de personnalité propre, on sait aujourd'hui qu'il imite ce qui l'entoure et qu'il finit par se construire en choisissant ce à quoi il veut ressembler lors de l'adolescence. C'est là qu'il faut se demander pourquoi le titre du film est Innocence. Il aurait pu s'intituler Ghost in the Shell 2 tout simplement, mais Oshii lui a préféré Innocence. Car c'est par un enfant, une petite fille que tout commence : c'est elle qui donne aux Gynoïdes leur humanité, c'est elle qui fait le rapprochement entre les Yakusas et la société qui fabrique les Gynoïdes. La petite fille enlevée est sauvée par Batou à la fin. On y apprend qu'elle n'a eu aucun scrupule à faire mourir des Gynoïdes pour être sauvée, voir à leur transmettre des pensées dépressives. Elle refuse de devenir une poupée, de perdre son humanité, sans se rendre compte qu'elle a agit pour son propre intérêt, sans songer aux conséquences et sans scrupule pour les morts qu'elle provoquait. Elle représente la perte de l'humanité à l'age de l'innocence.
C'est un enfant qui nous envoie un plan final parmi les plus dépressifs du cinéma : la fille de Togusa sourit comme une poupée... avec une poupée dans les bras ! Souvenez-vous de la discussion entre le légiste et Togusa à propos de sa fille, où le médecin sous entendait qu'une petite fille copie son sourire sur une poupée et non sur sa maman ou son papa. L'innocence d'un enfant le pousse à imiter une imitation, un simulacre d'humain que ses parents lui ont consciencieusement offert.
La déshumanisation de l'homme par l'homme est en marche et rien ne peut plus l'arrêter.

Pourquoi Motoko fait elle cela, pourquoi aide-t-elle Batou ? Elle l'aide dans la quête de son humanité, elle lui montre le chemin, elle qui a trouvé son état de grâce (souvenez-vous de l'ange qui vient la chercher à la fin de Ghost premier du nom, d'ailleurs, elle renaissait dans le corps d'un enfant). Finalement, il semble qu'elle ait un train d'avance. Ce corps cybernétique qui la questionnait dans le premier film, elle l'a quitté et n'est plus qu'un ghost surfant sur le net.
Elle est libre.
D'ailleurs, à la fin du film, n'est-ce pas elle qui chante "Follow me" ?

Alexandre_Godar
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le 13 nov. 2023

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