Je me faisais récemment la remarque que le film "Ghost in the Shell" de Mamoru Oshii était, contrairement aux apparences, le pire moyen possible pour appréhender la licence Ghost in the Shell qui, il faut le rappeler, regroupe trois long-métrages, deux moyen-métrages, plus un troisième en préparation, et surtout une série forte de deux saisons. Sans parler bien sûr du manga.

Le film de Mamoru Oshii est le plus connu, en raison d'une multitude de facteurs qu'il serait fastidieux d'expliquer - la notoriété de son réalisateur, son esthétique léchée, ses moyens conséquents, le choix de Kenji Kawai comme compositeur, et surtout sa sortie dans les salles obscures dans les pays occidentaux - et son immense succès pour un long d'animation a marqué bien au-delà des groupes d'otakus.
Ghost in the Shell a associé dans la mémoire collective son nom à celui de sommet du cyberpunk.

Et pourtant, il s'agit sans doute du plus mauvais film par lequel on puisse commencer la licence. Tout d'abord en raison de ses ambitions et de son propos, à portée clairement philosophiques - interrogations classiques sur la nature de l'Homme à l'ère du technologique, statut des androïdes, émergence d'une forme de conscience virtuelle grâce aux réseaux - tout y ressemble un peu à un repompage de Philip K. Dick mâtiné d'Asimov alors que le créateur de l'univers, Masamune Shirow, n'avait clairement pas envisagé Ghost in the Shell sous l'angle de la métaphysique.

Si l'on se penche sur l'oeuvre dans laquelle il a le plus participé, à savoir son manga, on se rend compte que la priorité de Shirow n'est pas la philosophie de comptoir, c'est la création d'un univers futuriste cohérent, abordé via la politique, la géopolitique, la sociologie et l'étude de la technologie sur des enjeux de pouvoir, ou son impact sur la façon d'envisager les relations humaines.

C'est pourquoi découvrir la licence avec le film Ghost in the Shell de Mamoru Oshii et approfondir cette découverte avec, par exemple, la série Stand Alone Complex, est le meilleur moyen d'être déboussolé. On vous fera passer aussi sec de citations de Descartes à des réflexions sur la nature du pouvoir, et croyez-moi, si sur le papier ça a l'air pareil, quand on le constate c'est autrement plus différent, et on a envie de croire que la série, pour reprendre l'exemple que j'ai pris, est une simple divagation du créateur, avant qu'il ne se réintéresse à sa matière favorite : la philosophie. Mais justement non ! Mamoru Oshii, en imprimant sa propre marque de réalisateur à Ghost in the Shell, a permis à celui-ci de connaître un succès mérité, mais a également un peu effacé de la volonté initiale du créateur.

Voilà. Et comme la patte de Shirow y est aussi évidente que dans la série Stand Alone Complex, il est clair après visionnage que Solid State Society est le meilleur film Ghost in the Shell; parce qu'indépendamment de ses qualités propres, c'est celui qui reflète le mieux les préoccupations et les interrogations de son créateur, que c'est le moins intellectuel et le plus concret de la licence, le film qui permet Shirow de dérouler une partition virtuose dans un format idéal; parce que les interrogations y sont très contemporaines, très concrètes; parce que l'enquête policière y est magistralement menée. Bref, dans Solid State Society, Shirow fait ce qu'il sait faire de mieux : de l'anticipation. Et pour l'anticipation pure, à part Asimov, y'a pas beaucoup mieux que lui.

Masamune Shirow est un putain de visionnaire, et ça me faisait de la peine de le voir se coltiner une réputation d'intello philosophisant à cause d'Oshii. Maintenant vous le savez : Solid State Society est un Ghost in the Shell de très haut niveau, débarrassé de toutes ses considérations un peu foireuses pour se concentrer sur des problèmes purement humains - et là, miracle, la philosophie vient toute seule, sans que l'on ait besoin de la convoquer à renfort de grandes citations.

Solid State Society est la quintessence d'une licence qui mérite sa légende, la quintessence de Ghost in the Shell, le vrai, la quintessence de quelque chose de très grand et de très beau. Immanquable.
Tezuka
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le 25 mai 2014

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