Après trois films inégaux, entre thriller fantastique et torture porn, on sait gré à Pascal Laugier de prendre son temps : arrivent au moins sur nos écrans, à défaut de films toujours satisfaisants, des oeuvres finies qui ne trahissent jamais les inflexions commerciales d'Alexandre Aja et consoeurs. Sa filmographie, goutte à goutte, traduit même une volonté de revisiter ses propres motifs sous un nouveau jour : tout comme The Secret pouvait évoquer, de loin en loin, l'inachevé Saint-Ange, Ghostland revient lui sur les terres du très controversé Martyrs.

Chronique sur deux époques d'une famille bouleversée par une intrusion extrêmement violente, il en partage d'ailleurs une partie des inconséquences (même fascination pour les visages tuméfiés et les violences domestiques, boogeyman travesti dont le film ne fait rien en guise de marronier vaguement transphobe), mais convenu que ces dernières ne posent jamais question pour Pascal Laugier, et restent, pour le meilleur et pour le pire, un simple enjeu mythologique, il semble préférable de les évacuer au profit d'analyses esthétiques. Seulement, même au prix de ce petit arrangement avec la morale, Ghostland peine à convaincre outre mesure. Puisqu'il repose presque exclusivement sur la rencontre du torture porn sophistiqué avec l'apparatus de la fiction gothique, le long-métrage demeure de bout en bout à l'état de pur concept, et se contente d'egréner les lieux-communs du genre avec maladresse (twists courrus d'avance, tentatives de fuite avortées, retour à la case départ et policiers incompétents).

On comprend bien l'ambition méta de Ghostland, qui a la prétention de revisiter les codes de la fiction horrifique : difficile, du portrait de Lovecraft en carton d'introduction à la lourde métaphore des crânes fracassés à coups de machine à écrire, de passer à côté. Mais puisque le scénario, sous ses airs de Mulholland Drive fauché, reste au demeurant très littéral, et puisque l'ensemble tient plus de Hostel que de Cthullu, Ghostland, comme Martyrs en son temps, n'innove jamais autant qu'il le pense, et ne transforme jamais son souci d'hybridation en autre chose qu'un prétexte à un déferlement de violence incontrôlée. Et lorsque Pascal Laugier opte pour une ultime facilité, et pose ces abus comme un des jalons de l'identité féminine de son héroïne, Ghostland va définitivement trop loin : ce n'est malheureusement pas l'étonnante Mylène Farmer, capable de suggérer une ambiguïté que le film n'exploite jamais, qui sauve le spectateur de cet ultime embarras.

ClémentRL
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le 17 mars 2018

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