Ecrit par Abdel Raouf Dafri (Braquo, Mesrine) et réalisé par Julien Leclercq (L’Assaut), Gibraltar s’inspire assez librement du roman « L’aviseur » d’après la vie réelle de Marc Fievet. Se basant donc sur un fait divers réel, le film, véritable mélange entre thriller, polar et film politique, raconte l’histoire de Marc Duval, un simple tenancier de bar cherchant à boucler ses fins de mois qui s’est vu écroué par les douanes françaises pour trafic de drogue alors qu’il travaillait en réalité pour elles en tant qu’aviseur (informateur).

L’histoire se déroule dans les années 80 à Gibraltar, véritable carrefour de l’Europe sous dominance britannique qui, à cette époque, faisait office de plaque-tournante pour le trafic de drogue, de cocaïne et de haschich, notamment en provenance du Maroc. Les traités européens ne prévoyants alors encore aucune coopération entre les différents pays et services douaniers, cette cacophonie des juridictions représentaient dès lors une véritable aubaine pour les trafiquants. Notons au passage que l’ambiance des années 80 est parfaitement recréée, que ce soit via l’utilisation de Walkman et cabine téléphonique que dans les décors et costumes.

Entre frontière politique et frontière morale :

Le film s’articule autour de trois personnages principaux : Marc Duval, l’agent Redjani Belimane des douanes françaises et le narcotrafiquant Claudio Lanfredi. Tous, sortent du carcan caricatural de leurs personnages puisque l’innocent (Marc Duval) ne l’est pas vraiment, Redjani Belimane (l’homme de loi) joue avec cette dernière et le criminel (Claudio Lanfredi) n’est pas une simple caricature de Pablo Escobard. Les intérêts et ambitions personnelles des personnages dépassent ainsi toute frontière de « bien » et de « mal »‘ représentant avec justesse la complexité de ce fait divers à mille lieux du schisme manichéen d’un polar classique opposant bons et méchants.

Gilles Lellouche campe donc ici avec une certaine sincérité le personnage du père de famille désireux de se débarrasser de ses dettes et qui se retrouve pris à son propre jeu et pris par l’appât du gain. Insatisfait de sa condition, il accepte de jouer les indics pour les douanes françaises en espionnant les trafiquants de passage dans son bar sans prendre le temps de réfléchir suffisamment aux conséquences et pensant toujours pouvoir tirer son épingle de jeu. Ses mensonges et ses actes vont ainsi très vite conduire à la mise en danger de sa famille et à sa propre descente en enfer, le forçant à se confronter à des trafiquants marocains, des criminels écossais et des mafieux Italiens et Irlandais membres de l’IRA.

Tahar Rahim interprète le second des trois personnages principaux de l’histoire : l’agent Belimane. Véritable golden boy à qui tout réussi, il souhaite faire avancer sa carrière quitte à brûler des étapes et va voir en Marc l’occasion parfaite d’arriver à ses fins. Bien que seule personne semblant être dotée d’une conscience du côté des douanes françaises, il va malheureusement devoir se ranger derrière sa hiérarchie et un système douanier complètement déshumanisé où les hommes ne sont que des simples pions dans les opérations de saisies médiatiques des services douaniers. En effet, le film dénonce ici le double jeu des douanes françaises qui, à l’époque, n’hésitaient pas à orchestrer des saisies de toute pièce dans le seul but d’attirer l’attention des médias sur leur imaginaire efficacité. Effectuées sous couvert politique du gouvernement Mitterrand, ces opérations ont conduits au sort qu’à connu Marc, véritable bouc émissaire de l’histoire.

Enfin, c’est le célèbre acteur Italien Riccardo Scamarcio qui campe dans un français plus qu’honorable le narcotrafiquant Claudio Lanfredi. Ce dernier, désireux de fonder une famille, va s’enticher de Marc pensant comprendre son combat pour sa famille, ainsi que de sa sœur, personnage secondaire jouée par Mélanie Bernier dont il va tomber amoureux. Relais de Pablo Escobar en Europe, il est l’homme à abattre pour l’officier Belimane, prêt-à-tout pour sa capture (véritable tremplin pour sa carrière), même à trahir son aviseur. Raphaëlle Agogué, quant à elle, interprète Clara Duval, la femme de Marc, seul personnage à rester à ses côtés jusqu’au bout et ce malgré les prises de risques inconsidérées et irréfléchis de son mari.

En conclusion :

Inspiré des véritables mésaventures de Marc Fievet, Julien Leclercq parvient grâce au scénario de Abdel Raouf Dafri à interpréter sans fioriture un fait divers politico-judiciaire marqué par ses multiples enjeux (guerre des douanes, complots politiques, trahison..) sans en trahir le fond. Si certaines sous-histoires comme la revanche du criminel écossais ou l’amourette de la sœur de Marc pour Lanfredi tirent parfois un peu le film sur la longueur, on ne se retrouve pas moins détourné des enjeux principaux de l’histoire. Gibraltar revient sur la descente aux enfers d’un homme qui, bien que dénué de mauvaises intentions, va se retrouver pris au piège entre sa propre recherche de profit, celle des trafiquants et les manipulations des douanes françaises, qui ne reculent devant rien pour couvrir leurs opérations clandestines. Riche en intrigues et en personnages, Marc reste au centre du film puisque tous se servent de lui pour parvenir à leurs fins, au point que le spectateur (comme Marc lui-même) finit peut-être par en oublier pourquoi il s’est retrouvé au départ dans cette situation. Si le film ne renforcera pas votre amour pour les douanes, il reste un mélange des genres captivant pour les amateurs d’histoires vraies, de faits divers et d’aventures humaines.
MrAwesome
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le 3 sept. 2013

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