Gimme Danger
6.6
Gimme Danger

Documentaire de Jim Jarmusch (2016)

Face à un documentaire, je me demande toujours quelle est sa légitimité cinématographique, ce qui justifie qu’il soit réalisé pour les salles obscures et donc diffusé de manière payante plutôt qu’à la télévision. Ce qui, en l’occurrence, distinguerait Gimme Danger de n’importe quel autre documentaire sur Iggy Pop et les Stooges.


Or ce qui attise naturellement la curiosité pour Gimme Danger en particulier, et ce qui explique sans doute qu’il ait été projeté, hors compétition, au dernier Festival de Cannes, tient dans le nom de son réalisateur. Non seulement Jim Jarmusch connaît personnellement Iggy Pop depuis des années, au point de le faire jouer dans Dead Man et l’un des court-métrages de Coffee and Cigarettes (l’excellent « Somewhere in California », avec Tom Waits), mais le goût musical, éclectique et pointu, qu’il manifeste dans tous ses films, garantit la sincérité d’une telle production.


À première vue, la réalisation de Gimme Danger est très classique : des interviews contemporaines des membres des Stooges, relatant chronologiquement l’histoire du groupe, de l’obsession d’Iggy Pop pour les textes en moins de 25 mots à sa reformation en 2003, sont présentées en alternance avec une très riche compilation d’images d’archives, ainsi que quelques illustrations des propos des personnes concernées (des images des groupes et films mentionnés). À ces valeurs d’images très traditionnelles, Jarmusch ajoute de courtes séquences d’animation pour montrer avec humour et expressivité des événements liés aux Stooges dont on n’a pas d’autre représentation, ainsi que des extraits, cette fois motivés par sa perception subjective, de films auxquels ce qui est narré le fait penser, en particulier plusieurs vidéos des Marx Brothers, dont l’apparition inattendue est naturellement agréablement surprenante.


C’est peut-être dans les détails que Gimme Danger est pourtant le plus remarquable, dans des éléments qui sont loin de sauter aux yeux et qui pourtant en font un documentaire éminemment recommandable.


D’abord, la relation des faits est d’une clarté irréprochable, en termes de temps et d’espace, de rencontres, de découvertes et de technique musicale. Les noms propres sont nombreux, certains (Warhol, Bowie, …) bien plus connus que d’autres, mais il n’y a aucune épate et aucun snobisme dans Gimme Danger : tous sont cités avec le plus grand naturel, comme si leur mention à ce moment précis était nécessaire, et cette précision réjouira les connaisseurs sans céder à un name dropping qui épuiserait ceux qui ne le sont pas. Et il en va de même pour les dates, juste assez nombreuses pour que le spectateur se représente bien les choses, ainsi que pour la technique musicale, qu’il ne s’agit pas d’occulter pour satisfaire le public le plus large possible, ni de placer au premier plan au risque de l’hermétisme.


L’authenticité de la démarche de Jarmusch est ainsi le plus grand atout de Gimme Danger : le spectateur n’est pas écrasé hautainement ou caressé dans le sens de son ignorance, et les Stooges eux-mêmes sont écoutés et filmés avec humilité et simplicité, dans des lieux et des tenues courantes, sans qu’on cherche à extirper d’eux la petite anecdote croustillante ou scabreuse, le petit détail inédit, qui donnerait au documentaire l’image sérieuse d’une enquête alors qu’il ne s’agirait que de sensationnalisme. Au contraire, on n’entend jamais de journaliste ou de critique musical, ni même Jarmusch lui-même, dont on croit seulement percevoir deux ou trois fois le rire, les commentaires du film, y compris les voix off, étant exclusivement celles des Stooges eux-mêmes.


La profonde humanité de cette démarche fait autant, sinon plus, que les extraits de chansons ou le rappel de l’importance fondamentale du groupe dans l’histoire du rock, pour partager avec le spectateur le mot d’ordre du film, « Stooges forever! ».


https://cinemaeldorado.files.wordpress.com/2015/04/lettre97diff.pdf

XipeTotec
7
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le 20 août 2017

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