Il n'y a rien de présomptueux à dire que chaque cinéphile digne de ce nom a connu au moins une fois dans sa vie un vrai choc cinématographique. Le genre de visionnage qui nous fait comprendre que le cinéma ne nous quittera pas de sitôt. Le film qui nous servira de base.
"Gladiator" est de ceux-là, et si il est commun que l'appréciation de ce genre de claque propre à la jeunesse baisse avec les années, il n'en est rien pour le dernier grand chef d'œuvre de Ridley Scott à ce jour.
Pourquoi ? La réponse de suite et avec des spoilers.


En premier lieu, "Gladiator" a un souffle et une âme que peu de films ont réussis à atteindre, et encore moins les autres péplums qui ont suivis son succès.
C'est dès les premières minutes que Scott expose son ambition, et elle est monstrueuse: nous immerger en pleine Rome Antique, nous faire suivre le destin épique d'un général au milieu de la boue et du sang. Les 10 premières minutes sont une vraie leçon de cinéma et annoncent la couleur: elles se font tour à tour lyriques (Maximus qui pense à son foyer avec mélancolie) puis épiques et viscérales (la bataille qui s'en suit).
La mise en scène de Scott est fluide et immersive, magnifié par une sublime composition picturale (non mais regardez-moi ce plan: http://ekladata.com/[email protected] !) et la très belle photographie de John Mathieson. Russell Crowe s'impose dès lors comme un leader monstrueusement charismatique, et la symbiose entre le montage de Pietro Scalia et la partition incroyable d'un Zimmer au sommet de sa carrière achève de donner à la bataille un véritable souffle épique.
Et ce n'est que les dix premières minutes.


Si on met de côté son indiscutable réussite formelle, il faut bien comprendre que "Gladiator" doit sa réussite à sa simplicité, son efficacité et son aspect universel. C'est que Ridley Scott nous conte une bonne vieille histoire héroïque, avec un personnage principal qui a tout perdu, réduit à l'esclavage, se battant contre un Empire pour sa vengeance et une conception toute particulière de Rome léguée par un père spirituel. Et comme tout bonne histoire, le film se conclue sur un sacrifice lors d'une très belle scène finale.
Rien de foncièrement très original, donc, d'autant plus que l'inspiration de "La Chute de l'Empire Romain" n'est plus à prouver. C'est pourtant là qu'est le tour de force: les nombreux rebondissements, la caractérisation des personnages et l'aspect tragique de leur destin (que ce soit Maximus ou Commode) font du scénario une réussite totale.
On croit à l'histoire de "Gladiator": on a envie que Maximus arrive à bout de sa quête, tout comme on est impressionné par la monstruosité du pourtant complexe Commode. Un antagoniste fascinant et pathétique, incarné par un incroyable Joaquin Phoenix qui arrive sans mal à faire de son personnage un des meilleurs méchants du Cinéma.
Plus globalement, le film évite brillamment le manichéisme, montrant des personnages nuancés: que ce soit Lucilla (interprétée par une Connie Nielsen qui n'a jamais été aussi belle), Proximo, Marc Aurèle ou bien évidemment Commode. Chaque personnage a ses zones d'ombres, même Maximus qui n'hésite pas à tuer avec cruauté dans l'arène. Les personnages principaux ont chacun des penchants égoïstes, attirés par la vengeance, le profit ou même leur bonheur personnel. Scott nous montre une Rome antique dangereuse, faite de magouilles et de stratégies politiques. C'est ce qui rend l'univers du film aussi tangible.


Car "Gladiator" est un film immersif, transportant sans mal son spectateur dans un Empire Romain romancé mais malgré tout crédible. On est au milieu de la violence et des mœurs propres à l'époque, donnant au film une ambiance et une gravité unique.
En somme, Scott est ici fidèle à sa réputation de créateur d'univers, et il est aidé par la superbe direction artistique et la bo d'un Zimmer inspiré pour chaque scène et chaque personnage (le thème de Commode <3).


De l'inspiration, Scott en a ici en permanence, épousant totalement l'ampleur de l'histoire et rivalisant avec ses plus grands films (dont "Blade Runner" qu'il n'hésite pas à citer le temps d'un plan que je vous laisse le soin de trouver). Au passage, Scott n'hésite pas à citer de nombreuses œuvres mais toujours avec pertinence (dont les films de propagande de Leni Riefenstahl pour l'arrivée de Commode à Rome), le tout gardant une véritable identité et la mise en scène se faisant très rigoureuse.
Les scènes de combat, notamment, sont de véritables réussites: violentes, prenantes, réalistes, bref dans la lignée de ce qui se faisait à l'époque (notamment Mel Gibson pour "Braveheart" et Spielberg pour son Soldat Ryan, rendons à César ce qui revient à César). Surtout, Scott emballe des scènes épiques rarement égalées. Que dire de la scène où Maximus, après avoir révélé son identité, est épargné par Commode et acclamé par la foule ? Le leitmotiv épique de la bo de Zimmer fait son apparition et donne à la scène une puissance d'une monstruosité sans pareille. Ce passage est le véritable sommet du film: tout le propos et la puissance dramatique de l'oeuvre y sont résumées. Et à côté, Scott filme de superbes scènes intimistes, comme lors de la première demi-heure avec un Maximus pris en plein milieu d'une intrigue familiale. Des scènes qui doivent d'ailleurs beaucoup à la remarquable qualité des répliques, ce qui est assez étonnant, tant l'écriture du scénario a été un bordel sans nom (les modifications durant le tournage sont nombreuses). Ces scènes intimistes creusent la douleur et l'humanité des personnages, rendant terriblement émouvante la finalité du récit avec un Maximus qui peut enfin accéder au paradis et rejoindre sa famille. Et je ne parle même pas de l'apport de la musique de Lisa Gerrard qui est d'une beauté sans nom.


Tout ça pour dire que "Gladiator" est et restera une réussite totale, ne volant pas sa réputation ni dans mon cœur, ni dans le public. Mais comment un tel regain d'inspiration a pu toucher Ridley Scott après des films à la qualité décroissante (il faut quand même savoir que le film suit "à armes égales") ? J'ai envie de dire peu importe tant il a su brillamment s'approprier le matériel pour en faire une œuvre éminemment personnelle, commençant une série de fresques épiques qui se répondront les unes aux autres ("Kingdom of Heaven", "Robin des bois" et "Exodus").
Depuis "Gladiator", le temps a passé. Le genre du péplum, si brillamment ressuscité, est à nouveau mort aujourd'hui. Les "Troie", "Alexandre", "300" et autres "Choc des Titans" se sont succédés, essayant de reproduire la recette avec à chaque fois moins de succès. Et ce jusqu'à des films comme "Pompéi" ou "Hercule" (le naveton de Ratner, j'ai pas vu l'autre) qui ont définitivement enterré le genre.


Autant d'échecs qui appuient la réussite de "Gladiator": un grand spectacle hollywoodien comme on en fait trop rarement, savoureux mélange de lyrisme et de spectaculaire ne négligeant ni le travail formel, ni l'émotion. "Gladiator" deviendra-t-il un classique ? Je n'en sais que trop rien, seul l'avenir nous le dira.
Une seule chose reste sure: il est purement et définitivement immense.


P.S: Pour régler le débat version courte/version longue, la version cinéma de 2h35 EST la director's cut. La version longue est seulement un souhait du studio, Scott a rajouté des scènes coupées pour leur faire plaisir (et accessoirement gagner un peu de thune dans l'histoire). Ces scènes ont été coupées pour une bonne raison, elles n'apportent pas grand chose si ce n'est des longueurs. Donc privilégiez la version courte qui est la version définitive, c'est Scott lui-même qui le dit.

sparowtony
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le 25 janv. 2015

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Anthony Douceau

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