La comédie screwball est un sous-genre de comédie très codifié, un style cinématographique finalement assez court qui vécut ses belles heures des années 1930 au début des années 1940. Souvent associée au genre connu en français sous le titre de "comédie de remariage", la screwball se caractérise par un sens de la répartie très rapide, des personnages imprévisibles, et des situations souvent loufoques.


En 1936, deux ans après le succès du film de Frank Capra, « New York-Miami » – l’un des premiers représentants du genre –, le réalisateur Gregory La Cava s’y attaque à son tour. Le matériau de base lui vient d’une nouvelle d’Eric Hatch, « 1101 Park Avenue ».


Un soir à New-York, au beau milieu de la Grande Dépression. Des laissés pour compte vivent dans une décharge publique sous l’ombre monumentale de l’un des ponts de la métropole. Alors que la soirée bat son plein, ils s’apostrophent joyeusement, et, en dépit de l’ostensible misère environnante, le moral est élevé et nos clochards semblent tout à fait heureux. Soudain, le rugissement puissant du moteur d’une robuste berline, si incongru par ici, vient rompre la quiétude de la soirée. Un homme et deux femmes, outrageants d’extravagance et visiblement éméchés, en sortent. En plein jeu de piste, ils sont à la recherche d’un trésor pour le moins singulier : l’un de ces "hommes perdus". Leur choix se porte sur un dénommé Godfrey à l’air débonnaire et à l’œil vif. Pas intimidé pour un sou, Godfrey refuse d’assister la brune et insolente Cornelia, et accepte d’accompagner la blonde et insouciante Irene. La fin de soirée prend une tournure plus délirante encore pour notre ami, qui après avoir expérimenté les curieux amusements de la belle société, se retrouve embauché comme majordome de la grande famille Bullock… dont Cornelia et Irene ne sont autres que les deux filles !


L’on s’en doute, la vie d’un majordome chez les Bullock n’est pas triste, surtout si ledit majordome n’est autre qu’un ex-clochard gouailleur et irrévérencieux.


On se rapproche ici des atmosphères délirantes et délicieusement absurdes de chefs d’œuvre de la comédie de l’âge d’or, tels « L’Impossible Monsieur Bébé » ou encore, « Arsenic et Vieilles dentelles ». Une grande part de la réussite du film réside dans la représentation de cette famille dysfonctionnelle, sorte de maison de fous où le brave Godfrey est le seul être sensé – et censé garder un calme à toute épreuve.


L’alchimie entre les deux personnages principaux fonctionne à merveille. William Powell est surtout connu pour son duo avec Myrna Loy – ils tournèrent quatorze films ensemble – et se révèle ici tout à fait à la hauteur du rôle. Son bonhomie, sa moustache et son détachement font merveille dans le rôle du majordome Godfrey. Pour lui donner la réplique, le choix du studio s’était initialement porté sur Constance Bennett, mais Powell n’accepta le rôle qu’à condition que Carole Lombard fût choisie. Pour l’anecdote, Lombard et Powell avaient été mariés entre 1931 et 1933, mais étaient demeurés en très bons termes après leur divorce.


L’insistance de Powell en faveur de Lombard fut probablement la décision la plus heureuse de l’équipe de production… Carole Lombard campe un personnage savoureux, auquel elle insuffle sa vivacité et son charme désarmants. Irene Bullock possède un potentiel évident : sa candeur, ses bouderies et son caractère assez irrésistible en font l’un des atouts majeurs du film. Néanmoins, il ne fallait pas gâcher les capacités du personnage avec une actrice fadasse ! Que l’on se rassure très vite, il n’y a peut-être aucune actrice dans l’histoire du cinéma qui soit aussi éloignée de la définition de "fade" que Carole Lombard.
Déjà, cette femme est magnifique. C’est un peu la Grace Kelly des années 30… Si cela ne suffisait pas, Carole Lombard est une actrice innée, qui possède un talent naturel hallucinant. Sa voix craquante et ses manières lui donnent un charme fou, un charisme et une présence à l’écran impressionnants. Au milieu des années 30, c’est elle la reine d’Hollywood, à n’en pas douter.
(En gardant à l’esprit que Marlene Dietrich en est la déesse, bien entendu…)


Pour autant, si le film franchit un pallier supplémentaire, et passe de divertissement très réussi à comédie franchement géniale, c’est indéniablement grâce à son casting de seconds rôles. Les acteurs secondaires se prêtent au jeu avec un plaisir manifeste, campant autant de personnages savoureux en donnant dans la surenchère permanente – pour notre plus grande joie ! L’on retrouvera Eugene Pallette dans le rôle du père obèse, bougon et vociférant, qui joue d’ailleurs un numéro de duettistes avec la mère, Alice Brady, totalement excellente dans son personnage qui, avec une candeur désarmante, n’entend rien au second degré. Mischa Auer se compose une espèce de dandy russe oisif et entretenu, dont il reprendra les mimiques à plusieurs reprises. Toutes les interactions de ce cortège, entre eux ou avec les deux personnages principaux, sont toujours drôles et jamais répétitives.


J’ai un faible certain pour la comédie. Je trouve que faire rire au cinéma est assez nettement plus difficile que faire pleurer. Cela exige un niveau d’écriture fin et une performance des acteurs qui soit à la fois très naturelle – une comédie forcée est plus embarrassante qu’autre chose – et très rythmée. Trouver les mots qui font mouche et l’alchimie des comédiens qui touche n’est pas forcément chose aisée.
J’aime rire derrière mon écran.
J’aime rire pendant une heure et demi aux gesticulations de personnages sophistiqués de la bonne société des années 1930.


Et j’aime Carole Lombard, aussi.

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le 24 mai 2016

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Aramis

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