Voir le film

---Bonjour voyageur égaré. Cette critique fait partie d'une série. Tu es ici au vingt-et-unième chapitre. Je tiens à jour l'ordre et l'avancée de cette étrange saga ici :
https://www.senscritique.com/liste/Franky_goes_to_Hollywood/2022160
Si tu n'en a rien a faire et que tu veux juste la critique, tu peux lire, mais certains passages te sembleront obscurs. Je m'en excuse d'avance. Bonne soirée. --


 Darling,

Ça y est c’est fait. J’ai regardé ce matin la lune ronde se coucher à mes pieds, la poitrine vide et le regard troublé. Tu es peut-être mort. Je sais que c’était bien plus qu’une simple guerre des gangs, mais je trouve une ironie tragique à l’idée que toi qui fut aux premiers temps le roi des rois, tu puisse tomber sous un conflit qui n’est finalement toujours pas le tien. Alors je prolonge mon ignorance, le rêve de te penser encore en vie. Tant que je ne sais pas en quelques sortes, tu vis encore. Je ne peux pas écrire à un mort, alors tant que je t’écris, tu vis n’est-ce pas ?


Tu sais les films continuent de se succéder et d’illustrer joliment mes sentiments. Ce soir, j’ai regardé un film franchement pas comme les autres. Je ne dirais pas qu’il était totalement hors-sujet, mais certainement son ton comme son propos sont très différents de ce dont j’avais pris l’habitude. Cela ne parle plus de recoudre des bouts de morts pour en créer du vivant, mais plutôt de bouts de vivants qu’on recolle ensemble pour réussir à mourir. Ni Dieux Ni Démons dépeint les derniers jours de la vie de l’immense James Whale, réalisateur des deux premiers Frankenstein chez Universal Monsters, véritable donneur de vie à la créature de Mary Shelley sur écran géant. Cette vie dont lui même a perdu des fragments au cours des ans, souvenirs qu’il cherche à faire remonter tout en refusant violemment de les voir avec toutes les souffrances et les peines qu’ils véhiculent. Malheureusement le film s’ouvre sur un ton graveleux, du type « hahaha ! C’est rigolo ! Regardez il est gay ! », et le véritable point noir du film énorme et terriblement dommage, est que cet aspect du personnage soit sur-représenté et douteusement traité sur le ton comique. Le film révèle néanmoins quelques élans de douceur et de douleur vraiment intense. Est-ce toi, le froid de la contrée que j’explore ou réellement la beauté de ces instants de grâce ? En tout cas, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps devant cette fin superbe et déchirante, ou créature et créateur s’entremêlent jusque la libération des deux : réussir à mourir pour l’un, réussir à grandir pour l’autre. La superbe de cet conclusion est de réussir à émouvoir tout son public, et plus encore ceux ayant ne serait-ce qu’un peu exploré le sujet en amont : en reprenant des images de la bouleversante scène de l’aveugle de La Fiancée de Frankenstein, sans en récupérer pour autant l’essence émotionnel, le film rappelle à son audience sachante le tragique de cette scène, renforçant le sentiment de vide et de beauté qu’on ressent quoiqu’il arrive à ce moment. Pour une audience novice malgré tout, le réalisateur parvient à rattacher les deux films par « le pouvoir de l’amitié », et ça c’est beau.
C’est là tout ce que j’apprécie dans ce film, que de savoir brouiller la frontière entre lui même et ceux de son personnage. Tout le long du film on cherche à savoir qui est, métaphoriquement, le baron, qui est la créature. Cela n’a pas à être, car en réalité ils sont tout deux un peu de l’un et un peu de l’autre. Les références sont subtiles et esthétiquement très jolies : Clayton qui regarde son reflet dans l’eau du lavabo, Jimmy qui perd la raison dans son riche salon un soir d’orage, etc. Il n’y a pas besoin de les comprendre pour les trouver belles, pourtant on se sent satisfait et gratifié de reconnaître la dédicace. C’est le genre de référence que j’aime. Parmi les références que j’aime aussi, il y a celle que je ne vois pas, celles qui me rappellent que de la filmographie de James Whale je suis comme tout le monde : je ne connais que ses deux œuvres les plus connues, et je n’en ai pas vu plus. C’est aussi un film qui donne envie de voir des films. En plus, Ian MacKellen que je connais surtout en papy badass, que ce soit Gandalf ou Magneto révèle ici toute une autre palette de son jeu, dans le rôle du personnage fragile et troublé, qui essaye désespérément de se rattacher à la réalité.
Je ne suis pas sure que ce film fasse beaucoup avancer mes recherches mais ça n’a pas d’importance : je suis sur la bonne piste, ce n’est plus qu’une question de temps avant que je réussisse. Pourtant je sens que si Wulver avait voulu me laisser un indice en cinéma comme tu l’as fait, c’est derrière ce film qu’il serait allé se glisser, plus discret qu’une ombre, instillant des indices fins que j’aurais du déceler. Il ne l’a pas fait bien sur, ça ne lui ressemblerai pas du tout d’aller se mêler à la foule bruyante d’un plateau de tournage, mais je ne peux m’empêcher de m’inquiéter de cette mort qui renverse tout ce qu’avaient pu répéter les films précédents : ce n’est plus le feu qui effraie et qui tue, mais l’eau. Transposition gracieuse du scénariste ? Référence coquette à Boulevard du Crépuscule ? C’est beau et effrayant à la fois. Comme l’est le mythe de Frankenstein depuis toujours.


Comme toi aussi, que je refuse de perdre,
je te reviendrais vite, je t’en supplie soit là à m’attendre,
H.

Créée

le 29 nov. 2018

Critique lue 262 fois

Zalya

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