Il faut bien se l'avouer, le métrage d'Emmerich était quand même bien daubé. Le design du Godzilla passait encore, plus dinosaure que jamais, mais le reste avait mal vieilli au possible. Non mais le monde sauvé par Matthew Broderick, franchement, c'était sans doute ça, le plus inquiétant du film ! Du coup, un nouveau film avec une nouvelle bête, c'était quand même l'occasion idéale de détartrer le mythe. Et bim, voilà Gareth Edwards aux commandes, le gars qui avait fait le pas trop mal "Monsters" où l'on ne voyait les Monsters en question qu'au cours d'une séquence assez étrange d'accouplement. Pour sûr, ça risque de surprendre, son Godzilla ! Je ne vous fais pas de résumer, je pense que vous avez compris : grosse bête nucléaire plus ville égal carton plein pour le BTP.

Dès le début, on sent que la donne va changer. Le vieux laïus qui dit qu'il faut montrer le moins possible sa bête, eh ben, dans le générique de départ, bim, on voit de l'épine dorsale de tonton Godzilla à qui-mieux-mieux, le temps d'apprendre qu'en réalité, les essais nucléaires dans les Philippines n'ont jamais été des essais d'une arme, mais plutôt des tentatives de meurtre à grande échelle sur l'énorme lézard dont l'existence était connue de longue date. Outch. Bon, j'arrête là le spoil, d'ailleurs, je ne voudrais pas en révéler trop aux gens qui, comme moi, ont arrêté de mater les bandes annonces depuis trois semaines pour se réserver un minimum de surprise. En fait, toujours est-il qu'une fois la bestiole entrevue dans ce générique, ne vous attendez plus à la revoir de suite. Edwards joue beaucoup sur la frustration de son spectateur à attendre vainement l'apparition de l'indigente créature sur grand écran. Mais on y reviendra. Là, les séquences suivantes, sans vouloir en dire trop sur l'intrigue, sont carrément excellentes. Une fois le générique fini, apparaît alors un hélicoptère tout seul, petit véhicule blanc et bleu sur une mer verte, une forêt dense et vivante qui se répand sur les flancs de haut reliefs. Ca pourrait être tout à fait Isla Nublar. On s'attend d'ailleurs à voir descendre John Hammond mais non, c'est Ken Watanabe qui en surgit, chapeau sur la tête, courant pour s'abriter de la poussière soulevée. Plus tard dans le film, la bête tente de s'échapper et les humains - pauvres fous ! - tentent de l'en empêcher en déployer des câbles électriques durant une autre séquence qui semble toute droit sortie d'un Jurassic Park : on croirait un mélange de l'ouverture du vénérable métrage de Spielberg et de l'évasion du T-Rex. Et bim, ça me reprend, je suis tout fou, tout trépident, totalement dans le film tant ce dernier m'a happé en me prenant par mon meilleur souvenir de lézard géant. C'est surtout cool de voir un métrage dont le réalisateur n'a pas l'impression d'être le premier à porter à l'écran ce genre de chose et respecte un poil ce qui a été fait avant. Comme quoi, tous les réals ne sont pas bons qu'à se tirer la nou-nouille.
Bon, maintenant, le "Roi des Monstres". Cool. Bon, j'imagine que plus personne n'a échappé au design "old-school" qui tranche un bon coup avec le précédent, mais en prime, on sent qu'Edwards le kiffe. Le script tout d'abord le met gravement à l'honneur et parvient à faire ce que le métrage d'Emmerich n'arrivait pas : il concilie la modernité de son contexte (où l'on entend les échos de Fukushima, pour ne citer que lui) et l'antique mythe cinéphile du patron des sauriens cracheurs de feu. Pour la peine, on a franchement l'impression d'assister à une sorte d'hommage à la longue série des Godzillas, une espèce de synthèse réjouissante de l'histoire de la bête et du symbolisme qui fut le sien à travers les âges, d'ombre noire d'Hiroshima à protecteur du petit archipel. Mais en prime, le réal' l'aime suffisamment pour installer patiemment sa venue, avec sa longue introduction empruntée parfois à Jurassic Park, qui permet même quelques décors post-apocalyptique à l'occasion d'une descente dans les rues d'une mégapole fantôme. On a même une petite tentative en pente glissante, sur le thème de la relation père-fils incomplète ! Une fois qu'on sait le saurien dans les parages, là encore, Edwards va faire monter la tension, en se réservant le droit de ne faire apparaître à l'écran que le spectre de son monstre, laissant alors l'image être envahie de buildings affaissés et de sillons d'une destruction inégalable. Il faut mériter son Godzilla pour l'obtenir et franchement, Edwards le mérite amplement tant ses premières apparitions sont réellement incroyables. Le pote Gareth a une science de la poussière juste terrifiante : brume, brouillard ou nuage, tout y passe pour obscurcir la vue, dessiner doucement les contours, cacher et suggérer plutôt que d'abrutir le spectateur de toute cette masse et cette fureur. Vous aviez vu ce premier trailer titanesque où des parachutistes sautaient droit en enfer ? Le film vous réserve encore de nombreuses trouvailles visuelles pour faire de sa créature le dieu antique que Ken Watanabe nous promet.
Les acteurs ne sont pas en reste, du moins leur interprétation est correcte : face au monstre, rien ne résiste. La plupart des séquences où figurent l'écho du gigantesque lézard vibre d'une crainte indélogeable : non, l'homme ne peut rien contre la puissance de Godzilla et le scénario a tôt fait de voir les forces militaires tenter davantage de limiter la casse que de détruire ou contraindre. Je me demandais comme l'histoire allait amener les hommes à trouver un moyen de tuer Godzilla, je vous laisse le mystère entier, l'idée est parfaitement géniale, totalement dans le ton de cette volonté pugnace du métrage de se placer dans une tradition, plutôt que de tenter de la débuter comme le voulait Emmerich. Ici, on respecte ses aînés, on apporte avec humilité sa pierre à un édifice déjà solide en espérant ne pas le défigurer. Résultat, les protagonistes humains sont davantage des prismes à taille d'homme qui permettent de prendre convenablement la mesure de la destruction à venir. Souvent la caméra viendra se loger au-dessus d'une épaule pour filmer l'impensable, entre deux protagonistes pour prolonger le regard vers ces horizons de folie que laisse le monstre derrière lui. Dans tout cela, je regrette tout de même la maigre utilisation qui est faite d'Elizabeth Olsen, pourtant convaincante (et que j'attends en Scarlett Witch !) et le peu de place faite à Ken Watanabe, qui joue là les sages taciturnes, révélant dès le premier tiers du film la vérité sur cette histoire de monstre, avant de s'isoler dans le mutisme. Allez, on poussera jusqu'à reprocher un peu au personnage d'Aaron-KickAss une partition intéressante en début de métrage, face à un Brian toujours très bon, mais qui tend à se diluer un peu dans l'action par la suite. Dommage, mais pas insurmontable au vue des incroyables qualités de la pellicule.

Au final, j'ai presque envie de dire "bim, dans les dents", à Pacific Rim, qui se voulait plus fun et du coup, beaucoup moins exigeant quant à ses incohérences et ses errements. Gareth Edwards signe un film qui se veut un prolongement, sa méthode est humble, ses idées sont esthétisantes et imposent un véritable souffle épique qui portent Godzilla bien au-dessus du simple film de monstres et tentent d'insuffler au spectateur plus que la seule peur de toute cette destruction qu'engendre la créature : c'est une crainte presque religieuse, un souffle coupé face à une divinité d'un autre âge, sorti des eaux pour asséner sa juste fureur, sa justice divine. Au moins, maintenant, on sait pourquoi on ne voyait guère Godzilla grimper dans l'arche d'Aronofsky : il était en-dessous, en train de la garder à flot !
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le 16 mai 2014

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le 16 mai 2014

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