La notion de reboot est devenue curieusement commune, et beaucoup en parlent comme de l'avis de décès du cinéma moderne. Au diable les idées originales et les risques, tablons sur des succès antérieurs pour garantir des succès futurs.


Si ce procédé a produit quelques réussites (la trilogie The Dark Knight par Christopher Nolan, notamment), elle a de nombreuses fois montré ses limites (le dernier Spiderman en est l'exemple parfait) et tué dans l'oeuf toute initiative novatrice et surprise de la découverte pour un spectateur un tant soit peu féru de septième art. Logique, donc, que j'éprouve quelques suspicions face à ce nouveau Godzilla, plus d'une cinquantaine d'années après les films originaux et seize ans après un blockbuster simpliste mais efficace, qui avait eu au moins le mérite de faire connaître à une nouvelle génération le monstre nippon.


Et puis me voilà à la sortie du cinéma, le sourire aux lèvres. Parce que ce Godzilla nouveau cru est parvenu, à plusieurs reprises, à me faire sentir comme le gamin la bouche grande ouverte devant les dinos de Jurassic Park. En soi, c'est déjà une petite réussite.


Avant toute chose, évacuons le moins bien avant de faire l'apologie de l'oeuvre de Gareth Edwards : le scénario est plus que convenu, donc vous pouvez dire adieu à toute vraie surprise (exception faite de


la mort, assez rapidement, du personnage de Bryan Cranston, vendu pourtant par la bande annonce comme héros du film).


Si l'inclusion des dangers du nucléaire et une référence évidente à une actualité assez récente (Fukushima) sont pertinentes (le Godzilla original était aussi un fantôme du Japon post-Hiroshima) et pourraient offrir une réflexion intéressante, elles sont assez maladroitement exploitées et laissées de côté au profit d'une explication un poil bancale sur les habitudes de consommation des monstres (il y avait de la place pour un second degré de lecture, je trouve, trop flou ici). Les personnages sont sympatoches sans plus et manquent de dimension et de véritable développement dramatique : je rejoins le consensus critique, quand t'as Juliette Binoche, Bryan Cranston, Elisabeth Olsen ou Sally Hawkins dans ton film, t'essaies de leur donner un peu plus de moments percutants, quand même. Manquent aussi cruellement un vrai sens du fun, un personnage comique ou quelques répliques décalées qui pourraient alléger l'atmosphère parfois très lourde et glauque du film. Néanmoins ces failles permettent paradoxalement de mettre en lumière la vraie star de Godzilla, c'est à dire le monstre lui-même.


Je connaissais le talent du réalisateur (son Monsters en 2010 avait prouvé qu'on pouvait faire de grandes et belles choses pour un film de monstres avec trois francs six sous) mais j'avais un peu peur de voir ce talent mis en danger par un budget colossal - j'ai cette idée préconçue qui dit que moins on a de moyens, plus notre capacité créative peut s'exprimer de façon intéressante (et vice-versa parfois). J'ai eu tort : le sens très spielbergien de l'émerveillement est sain et sauf, et les apparitions du monstre sont distillées avec parcimonie et avec style dans le film, pour ne jamais tomber dans la surenchère et la facilité. À ce titre : ♛ (chapeau, quoi).


De nombreuses critiques ont mis en lumière de façon plus ou moins négative le peu d'apparitions du Godzilla dans un film à son nom. Je pense au contraire que c'est une force. À l'heure où les bandes annonces révèlent tous les plans spectaculaires d'un film et gâchent tout plaisir de surprise, Edwards (sur un modèle similaire à celui employé par Spielberg dans E.T., Les dents de la mer ou Jurassic Park) garde sa créature secrète, faisant languir le spectateur qui n'en aperçoit que des bribes (le dos crêté, la forme sous l'eau, les bruits terrifiants). Et ça paye, au moment de la révélation : tout d'abord lors d'une scène fantastique dans l'aéroport d'Hawaii, où l'on prend un pied monumental, de façon à la fois littérale et figurative. La caméra est posée à l'intérieur du terminal, au niveau du sol, parmi tous ces gens terrifiés et curieux, et l'on guette l'extérieur sombre avec appréhension. Soudainement surgit, à grands renforts d'effets sonores géniaux, la patte de Godzilla, nous faisant prendre conscience des dimensions gargantuesques de l'animal. Aussi ridicule que cela puisse paraître, j'ai du reprendre mon souffle après cette scène. C'était comme un tour de grand huit, frissons et plaisir à la clé.


Plus tard, les apparitions de la bête gardent ce sentiment de mystère et de surprise, lorsque son ombre se devine dans les volutes de fumée d'un quartier chinois en ruines, ou lorsque le lézard géant entre dans la ville de San Francisco, sortant de l'eau au milieu du Golden Gate Bridge - d'abord aperçu dans les reflets des bus remplis d'enfants, il se révèle enfin aux yeux ébahis des spectateurs. J'ai lu une critique intéressante qui expliquait aussi que ces bribes de monstre aperçu sur des écrans de télé ou disparaissant entre deux immeubles permettaient d'ancrer le spectacle à taille humaine, comme si nous étions parmi les passants, et participaient au "réalisme" (entre gros guillemets) du film. Je suis assez d'accord.


VERDICT
Un bon film à grand spectacle, qui parvient à retrouver le Godzilla originel des films japonais tout en lui apportant un certain écho moderne. Evidemment, le scénario bateau et le manque d'ampleur des personnages peuvent empêcher le film d'atteindre un statut d'oeuvre majeure dans les années à venir, mais les effets visuels et sonores emmènent l'oeuvre de Gareth Edwards sur des territoires trop peu souvent explorés et ô combien gratifiants. Il y a une vraie intelligence dans la mise en scène et on sent un certain respect du spectateur très rafraichissant (concrètement, on est pas pris pour des cons, et on ne cherche pas juste à remplir bêtement notre jauge d'adrénaline). Edwards est clairement talentueux, et promet de belles choses dans le futur. Si je devais résumer ce blockbuster, je dirais qu'on a affaire à un mélange entre Pacific Rim (pour le côté gargantuesque des monstres et un certain respect de la culture nippone) et Jurassic Park (le monstre qui se fait désirer et qui n'est jamais véritablement vu comme un ennemi pur et dur). On est en tout cas face à un film qui possède une vraie valeur ajoutée par rapport au cinéma à grand spectacle actuel : et ce petit plus, c'est cette sensation nostalgique d'anticipation et d'émerveillement du spectacle vintage.

Wittle
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le 21 janv. 2016

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Wittle

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