Après un premier film tout à fait convainquant en 2014, Hollywood se décide enfin à piocher dans 65 ans d’imaginaire cinématographique pour bâtir son monsterverse. Ce n’est malheureusement pas ça qui sauvera Godzilla : King of the Monsters, car en opposant le roi des monstres à son légendaire rival tricéphale Ghidorah, le film hérite de la malédiction qui touche la quasi totalité des films mettant celui-ci en scène.


Le plus grand défi de King of the Monsters, c’était sans doute de donner vie et actualiser des créatures appartenant à un imaginaire de science fiction des années 50. Donner de la prestance et de la majesté à un monstre comme Rodan, ptérodactyle géant né en 1956, c’était un challenge que les équipes ont pourtant su relever avec un certain brio. Mothra, reine des monstres et des papillons géants, avait quant à elle tous les atouts pour briller, aussi sa grâce surprendra moins que son peu de temps à l’écran. Quant à Ghidorah, le fameux dragon à trois têtes, il brille par son classicisme, loin de l’audace du Dévoreur de Planètes de la Toho, mais qui souligne davantage son statut de némésis de Godzilla.


Sans s’inscrire dans le genre du found footage, le film abuse tout de même d’effets visant à donner à la mise en scène des airs de caméra embarquée. Contre-plongées, zooms et tremblements sont les principaux responsables du cruel manque de lisibilité des scènes sensées sublimer les monstres. Ici, noyés de surcroit dans un déluge d’effets numériques, on les perçoit finalement si peu que quiconque viendra chercher un simple battle royale titanesque restera sur sa faim. C’est pourtant ce qui constitue l’essentiel des deux heures de film, loin des velléités atmosphériques de son prédécesseur. Mais il n’y a que les trop rares fois où la caméra se recule et se stabilise que, soudain, on se croit devant un film de monstres.


C’est à croire que pour King of the Monsters, c’est à ces artifices que se résume la perspective humaine. Gareth Edwards avait réussi quelque chose avec son Godzilla : le père incarné par Bryan Cranston y devenait vite attachant ce qui, par ricochet, créait un semblant d’empathie pour le fils un peu paumé campé par Aaron Taylor Johnson. King of the Monsters repart sur une base similaire, celle d’une famille brisée, mais sans jamais réussir à créer une quelconque empathie. Les rôles secondaires, menés par un Ken Watanabe devenu le capitaine Kirk de l’Enterprise local, viennent sauver une Humanité bien trop antipathique pour le temps d’écran qu’elle occupe. La faute n’en reviendra pas qu’aux dialogues d’une bêtise et d’un vide rare mais bien à une écriture absurde et laborieuse, à l’image des thèmes du film.


Présentée sous l’angle d’un éco-terrorisme caricatural et détaché de toute question sociétale, l’écologie, argument de vente du film, n’est en réalité que l’excuse pour justifier le meurtre de masse, seule réponse face au vrai ennemi de la Terre. Pas les titans, pas la pollution (tout juste mentionnée une fois), pas même la surproduction (jamais évoquée), non : la nature humaine, avatar de la paresse intellectuelle d’un film finalement tout sauf écolo. Même Gareth Edwards n’avait pas osé nous expliquer qu’une bonne explosion nucléaire est la solution. Au contraire, dans son film, elle était un danger, la nourriture de la progéniture MUTO. C’était un film à la gloire d’un ordre naturel dans le quel l’Humain reste toujours petit, et ne peut qu’essayer de ne pas aggraver les choses. Ici, l’Humain prétend s’élever au rang de titan, et complète un film qui tient plus du film de super héros qui prend son titre au pied de la lettre que du kaiju eiga métaphorique sur une nature implacable.


King of the Monsters a peu à dire, donc peu à mettre en scène. Pour un film sensé puiser dans 65 ans d’imaginaire, lui-même manque cruellement d’imagination (Rodan est encore une fois celui qui tire son épingle du jeu), préférant recourir aux clichés de mise en scène les plus fainéants et les moins subtils de blockbusters. Les plans iconiques directement hérités d’autres films sont encore ce que le fan service réussit de mieux, puisqu’il s’agit le reste du temps de sortir de nulle part des éléments clés de la saga (tirés de Godzilla, Godzilla VS Mechagodzilla 2, Godzilla VS Destroyer ou GMK) en les vidant de toute leur substance à une exception près (et assez touchante). C’est aussi ces acteurs en vogue qui font figuration, comme Millie Bobby Brown présente que pour donner les noms des monstres la première, ou Charles Dance pour un clin d’œil à Game of Thrones. Le clin d’oeil, fut-il bien amené, doit rester une seconde lecture, sans quoi c’est se reposer sur le travail de quelqu’un d’autre. Et King of the Monsters manque de cette première lecture. Même quand il annonce treize autres titans en plus des quatre têtes d’affiche, ce n’est que pour filmer toujours les trois mêmes, dont le plus inspiré est simplement repris au film précédent.


King of the Monsters ne tuera pas le roi des monstres. Hollywood a encore du chemin à faire avant de tomber aussi bas que la Toho dans ses pires années. Mais difficile de ne pas trouver que ce nouveau film en prend la direction quand, au moment où le Monsterverse devait briller comme jamais, la copie rendue s’avère finalement être un incroyable retour en arrière, face à laquelle même Rampage est un roi plus légitime.

Ensis
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le 6 juin 2019

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