Ce retour d'Hideaki Anno derrière la caméra s'est un peu fait par hasard : initialement, il était juste l'auteur du scénario et avait confié la réalisation à son ami Shinji Higuchi. Mais en se rendant sur le tournage, Anno a rapidement pris en main la mise en scène en main, laissant les effets-spéciaux à Higuchi dont c'est la spécialité. On ira pas s'en plaindre, ce dernier n'étant pas très doué pour gérer seul un film.
Au final, ce Shin Godzilla est bien un pur film de Hideaki Anno dont le style est assez reconnaissable avec un montage très nerveux qui dynamise incroyablement les nombreuses séquences de dialogues et d'expositions. Sans cela, le film aurait été un sommet d'ennui avec des réunions interminables bourrées d'échanges techniques. Il faut dire que le scénario prend en total contre-pied l'épine au pied de tous les films du genre. Alors que ce genre de séquences entre militaires, scientifiques et membres du gouvernement sont des passages obligés mais qui ne motivent ni n'intéressent personne (à commencer par le public qui veut voir du monstres raser des villes ou se livrer à des matches de catch), Hideaki Anno en fait au contraire le cœur du film, reléguant à l'arrière fond le fameux dinosaure.
Sa motivation n'est pas tant de faire revivre Godzilla que de livrer une parabole politique sur la gestion de Fukushima par les autorités où les références abondent à commencer par ce raz de marée provoquée par une larve géante et qui charrie les bateaux comme des fétus de pailles avec une force incontrôlable.
Ce parti pris a laisser sur le terrain quelques fans qui s'attendaient à du blockbuster destructif (et déjà ronchons par l'abandon d'un comédien portant un costume) mais Shin Godzilla s'avère rapidement passionnant avec sa façon de décrypter les coulisses d'une situation de crise avec l’impéritie des dirigeants qui pensent avant tout à soigner leur image et qui pensent en terme de communication. Pour autant le film ne bascule pas dans la satire ni la dénonciation franche mais opte pour un petit second degré utilisé avec parcimonie, agrémenté d'un certain goût du pastiche qui relie d'ailleurs directement ce Shin Godzilla à la filmographie du cinéaste en prenant par moment des allures d'Evangelion en prise de vue réelles avec le sentiment de voir le NERV en action, soutenue par le même thème musical que l'animé (ce qui a provoqué un certain frisson de plaisir). Ca reste du clin d'oeil jamais envahissant qui n'empiète heureusement pas sur l'intégrité même du film. Il est en tout cas lucide dans son déroulement et son univers. Quand on pense que le scénario a fait le tour du sujet, la seconde moitié greffe des relations internationales pour contenir la menace, rendant le contenu encore plus riche et palpitant pour un double suspens prenant.
La réalisation d'Anno repose donc sur des rapides mouvements de caméra pour passer d'un visage à un autre, effectuant une quasi chorégraphie dans les nombreux échanges, avec en plus des plans très courts et des cadrages assez originaux. Malgré tout, ça reste finalement assez "sage" pour son cinéaste qui ne sort jamais de ces rails, contrairement à liberté de ses précédents titres, véritables laboratoires avant-gardistes (et métaphysiques) où les idées imprévisibles jaillissaient dans des fulgurances poétiques et formalistes.
Ici, c'est plus contenu, plus tenu. Ca m'a presque un peu déçu que ça ne prenne pas plus de risques dans la réalisation mais Anno avait sans doute plus de contraintes commerciales. Attention, rien d'académique non plus. Je dis ça par rapport au style habituel du maître. Mais ça vient peut-être de sa reprise du tournage en cours du route. Avec une réelle préparation, ça aurait peut-être été différent.
Et de toute façon les audaces du film se trouve évidement dans son scénario, son traitement du genre, sa manière de déjouer les attentes (du pur Anno !) et sa relation à Godzilla qui connaît ainsi plusieurs phases de mutations. Pataud et assez ridicule au début, la créature devient de plus en plus impressionnante et surtout menaçante au fur et à mesure que le film avance. Son attaque à mi-film est peut-être la plus spectaculaire et tétanisante de tous les Kaiju Eiga jamais filmés, servis par de fabuleux effets spéciaux. Cette séquence, plus le final davantage fun mais tout autant épique, restent les deux seules vraies séquences de destruction du film qui refuse la complaisance et la surenchère tout en étant définitive dans sa représentation apocalyptique.
Il y a ainsi une envie de retourner aux sources du mythe et du film original de 1954, y compris en allant dans une direction plus humaine. Par exemple, les militaires japonais rappellent qu'ils sont là pour protéger les habitants et l'on s'attarde beaucoup sur les décombres, infusant un bilan de victimes qui n'a rien de factice.
Le pari n'était pas évident à remplir et malgré quelques scories dans l’interprétation, ce "nouveau" Godzilla est vraiment enthousiasmant.
Et j'espère que ça a donné envie à Hideaki Anno de rester derrière la caméra.