Dennis Lehane et le cinéma, c’est une affaire qui marche : ses plus fameux romans connurent en effet de belles fortunes sur grand écran, Clint Eastwood adaptant un Mystic River qu’il me tarde de revoir tandis que Martin Scorcese transposa, avec davantage de controverse, un Shutter Island hyponotique.
Mais derrière ces deux titres renommés, le cœur de son œuvre se cristallise dans un tandem de détectives privés de son cru : Patrick Kenzie et Angela Gennaro. Avec de multiples aventures à leur actif, ces derniers composent bien le fer de lance originel de Lehane : aussi, l’un des chapitres de leurs pérégrinations fut également porté dans les salles obscures, sous la houlette d’un novice à la réalisation... un certain Ben Affleck.
Mais, derechef, les quelques lignes ci-dessus trahissent le problème fondamental de Gone Baby Gone, adaptation maladroite de son état : car en s’intéressant au quatrième volet dédié au duo Kenzie & Gennaro, Affleck et Stockard (l’épaulant au scénario) se devaient d’introduire différemment ces derniers, sous peine de ne pas suffisamment brosser leur portrait respectif (mais aussi commun). Seulement voilà, ce couple prometteur pêche de par son traitement en apparence superficiel, le film échouant à en étoffer le background et la psychologie : certainement trop hâtif, et forcément peu expérimenté, le cinéaste en devenir aurait dû revoir sa copie.
Il en résulte par extension un dosage malhabile, l’intrigue semblant chercher par tous les moyens à caler Patrick dans les pas de l’action : malheureusement, l’effet n’est guère crédible, cette volonté d’ébaucher une figure de héros « ordinaire » s’opposant au cadre très terre à terre de Gone Baby Gone, alors que dans le même temps un déséquilibre irrattrapable vient fissurer son association à Angela. À ce titre, celle-ci fini par incarner une force contraire, mais aussi de soutien, à ce qu’est intrinsèquement Patrick : d’un tempérament calme et on ne peut plus empathique, le rôle de Michelle Monaghan (efficace bien que discrète) tend ainsi à peu à peu s’effacer au profit de son homologue masculin, déjà présenté comme étant le protagoniste véritable du long-métrage en sa qualité de narrateur.
Plus subjectivement à présent, l’interprétation de Casey Affleck est de fil en aiguille contradictoire : s’il est parfait dans le rôle d’un Patrick ironique, son jeu aux frontières de l’inexpressivité narquoise et sa nonchalance sous-jacente annihile toute sympathie pour le personnage... associé à cette même narration plutôt pompeuse, son petit air suffisant n’est même pas loin de parfois nous agacer. Le manque d’expérience de Ben Affleck transpire aussi dans l’intrigue générale, l’accumulation de ces quelques maladresses desservant le message pourtant intéressant qu’invoque Gone Baby Gone, mais pas que : si l’ensemble demeure honorable, la mise en scène s’avère régulièrement confusante tandis que les quelques rebondissements pourraient être qualifiés de capillotractés.
Pourtant, si nous ne contreviendrons pas quant au fait qu’il était animé des meilleurs intentions, il convient de reconnaître que le film demeure divertissant : et par-delà de multiples révélations un tant soit peu surprenantes, ce fameux propos sur la justice personnelle et la morale de tout un chacun suscite un véritable dilemme, tant pour les personnages que les spectateurs. Il est juste regrettable que les atouts de l’univers de Lehane, tels que les dessous d’un Boston ouvrier qu’Affleck effleure de son mieux, ne soient pas pour le mieux matérialisés ici : un premier jet honorable mais immensément perfectible en somme.