Après s'être fait remarqué en France à partir de la fin des années 50 par ses courts métrages d'animations, dont plusieurs reçurent des prix dans divers festivals internationaux, dont Rosalie lauréat de l'Ours d'Argent à Berlin en 1966, et un premier long métrage d'animation, Théâtre de Monsieur & Madame Kabal en 1967, le polonais Walerian Borowczyk se lançait l'année suivante dans la réalisation de son premier long métrage en prise de vues réelle, Goto, l'île d'amour. Œuvre à l'image de ses précédents métrages, le dénommé Goto se distinguait par sa singularité, tant formelle que thématique, dépassant ainsi la seule critique évidente du totalitarisme (le film fut interdit à la fois par la Pologne communiste et par l'Espagne de Franco).


Étrange, absurde, voici les premiers adjectifs qui viennent à l'esprit après la découverte de Goto, l'île d'amour. Par son « surréalisme inconscient et involontaire » selon les propres mots de par Walerian Borowczyk, ce deuxième long métrage se nourrit des multiples influences de son auteur, du théâtre de l'absurde d'un Beckett, à l'univers de Kafka, en particulier La colonie pénitentiaire (que Boro pensa à adapter quand il vivait encore en Pologne), au surréalisme d'un Buñuel. Parodie de dictature dans un monde resté au 19ème siècle, symbolisé par sa technologie rétrograde et sa nature fatiguée (les pommiers ne produisent que tous les trois ans), le scénario écrit par Walerian Borowczyk avec la collaboration de Dominique Duvergé (producteur de plusieurs de ses courts métrages dont Rosalie) brosse un univers déphasé, brisé, dysfonctionnel. Aucune explication ou réponse n'est donnée. Le monde de Goto vit dans sa propre logique, le beau-père du gouverneur (René Dary) gère le chenil, tandis que sa belle-mère (Ginette Leclerc), au titre de mère-maquerelle, s'occupe de la maison-close de l'île, chaque habitant porte un prénom commençant par la lettre G, et enfin tout délit, du plus petit au plus grave, est puni par la même sentence : la mort par décapitation pour le perdant du procès/combat qui oppose deux condamnés sur la scène d'un théâtre.


Surréaliste par son récit, Goto, l'île d'amour l'est tout autant dans sa forme. Mieux, le film, de par les choix stylistiques de Walerian Borowczyk, souligne autant sa maîtrise que son souci obsessionnel du détail, tous deux hérités de son expérience dans l'animation. Du souhait premier de vouloir tout diriger, Boro le plasticien crée ainsi de ses propres mains un nouveau monde avec ses propres règles et son propre cadre, il fabriqua lui-même les fameuses cages à mouches ou le portrait à trois visages exposé dans la salle de classe au début du film. Avec ses acteurs devenus personnages d'animation, voire « accessoires vivants », dévoilant un Pierre Brasseur dans un registre inédit, Goto se caractérise par son formalisme minimaliste. Filmé en noir et blanc, la photographie du long métrage s'écarte de la norme de l'époque : éclairage neutre, absence d'ombre, utilisation unique de longues focales et de travellings horizontaux, absence de panoramique. De même, les cadrages et le choix d'utiliser une caméra fixe afin de filmer principalement en plan large évoque le cinéma muet. Des partis pris qui font de Goto un réel OFNI à l'image enfin de ses persistances rétinienne et auditive insérées par Borowczyk prenant la forme de plans en couleurs pastels (chaussures bleues, seau d'eau ensanglantée, etc.), ou de moment de silence brisé par le Concerto pour orgue d'Haendel (en G mineur, Opus 7).


http://www.therockyhorrorcriticshow.com/2017/02/goto-lile-damour-walerian-borowczyk-1968.html

Claire-Magenta
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le 2 juin 2017

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